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guerre de 14

Feuille 1917

1918, la paix de mon grand-père

Le 02/05/2018

La feuille

 

     En cherchant dans les archives de la famille pour trouver de la documentation sur la vie de mon grand-père maternel, j’ai trouvé dans son livret de solde une feuille de vigne, bien conservée, sur laquelle est écrit à l’encre noire : congé renouvelable 13 Mai 1919. Je n’y ai pas porté grande attention. Quoi de plus banal qu’une feuille ou une fleur conservée entre les pages d’un livre. Souvenir. Cela se fait-il encore ?

    Mon grand-père, François Le Lann s’est engagé à quinze ans dans la marine. Il était de la classe 1913. Matelot puis quartier-maître électricien, il fait la guerre sur les sous-marins. Il en sort vivant en 1919, pour épouser sa promise Isabelle, qui l’attend depuis cinq ans.

Sur le livret de solde, qui a pris une couleur tabac, je trouve des chiffres : en 1918, il gagne 3,00 francs par jour (solde de quartier-maître de 8 à 12 ans d’ancienneté), supplément 1,25 f. / jour (sans doute pour service à la mer), gratification pour la fête nationale : 1 f., Indemnité de combat 66,50 f. (pour 113 jours soit 0,59 f. / jour). À titre de comparaison une paire de chaussures en cuir, coûte entre 29,95 et 39,95 francs à la fin de la guerre. Le prix a doublé depuis 1914. François ne dépensait pas tout, il envoyait régulièrement de l’argent à sa famille.

    J’ai le souvenir d’un homme tout à fait démodé, avec sa raie au milieu et sa petite moustache genre Hitler. Grand type sec, son caractère est tout à l’opposé à sa morphologie. Affable, doux, aimant le vin, la bonne chère et le tabac. Il plaisante volontiers sur un registre surréaliste, voire absurde. Il prend la vie au fil de l’eau, ma grand-mère Isabelle tient le gouvernail en ronchonnant.

    Je reviens à la feuille, elle aussi couleur tabac et je réalise qu’elle a au moins cent ans. Je pense que c’est une feuille de vigne. Si c’est le cas, elle a été cueillie à Malte en 1917 (à Cherbourg, où mon grand-père finit la guerre, il n’en aurait pas trouvé de semblable). Pourquoi François a-t-il ramené ce souvenir de l’île des Chevaliers de l’Ordre de Jérusalem ?

   Il a été renvoyé dans ses foyers le 15 juin 1919. La feuille était déjà sèche pour qu’on puisse écrire dessus. Placée dans le livret de solde, elle symbolise la libération du marin. La fin de sa guerre. Et quoi de mieux qu’une feuille pour exprimer la paix ? A-t-on jamais vu des arbres se faire la guerre ? Et une feuille de vigne ! Bien que non croyant, François est imprégné de religion, la vêture d’Ève, l’ivresse de Noé, les filles de Loth, les noces de Cana, le sang du Christ… la vigne et le vin sont de puissantes images de la vie, et du péché aussi.

    Cette feuille presque miraculeusement conservée, livre cent ans après, l’espoir de paix que la fin de la Grande Guerre portait. La der. des der. ! Espoir terriblement déçu. Les guerres comme les feuilles d’arbre ont leur saison et rien ne peut les empêcher de revenir.

    Mon grand-père aurait aujourd’hui 125 ans. Il ne serait pas surpris je crois, de retrouver dans son livret de solde, une feuille cueillie dans une vigne de Malte au plus fort de la guerre, une feuille toujours vivante, comme lui dans mes souvenirs. Il y a inscrit la joie de la paix, immense, si forte, qu’elle est intacte un siècle après.

 

    Je trouve qu’on parle trop peu de cette année 1918 qui a déterminé l’avenir de l’Europe. Il y aura sans doute de multiples commémorations mais le sujet est peut-être trop complexe pour les journalistes, et puis Johnny est mort.