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cadeaux

Larousse 1 modifie 4

Un Noël de cancre

Le 18/12/2020

J’ai dix ans, j’entre en sixième. Je suis le plus petit de la classe. La sixième M4, une espèce d’enfer froid où je dors mal, troublé que je suis par des professeurs consciencieux et agités comme des abeilles, ou plutôt des fourmis qui piquent. Les notes tombent comme des bouses. Elles sont inscrites au fur et à mesure sur le carnet de correspondance, les profs signent en face pour vérifier qu’il n’y a pas de fraude. Le carnet est présenté, signé des parents, le lundi matin au premier cours. S’il n’y avait que des bonnes notes dessus, ce serait facile. Papa signerait presque sans regarder, dans un élan d’amour pour son rejeton si brillant, dès le samedi midi et la bonne humeur règnerait tout le week-end.

Maman signe le lundi matin, à la dernière minute, parce qu’il faut bien signer. Le carnet n’est pas beau. Papa je suppose, préfère ne pas le voir mais il sait. Tout le dimanche je cherche un moment favorable pour le lui présenter, car maman prétend que c’est à lui de signer. Généralement, j’en trouve pas.

Je dois inscrire au moins un zéro chaque semaine en orthographe. La prof s’obstine à noter la dictée sur vingt au lieu de la mettre avec les questions. Le zéro sec fait mal, souligné deux fois par cette salope, qui met son paraphe rageur en marge. Impossible de tricher. Même dix en orthographe (juste un 1 devant le zéro) serait complètement invraisemblable. Comment avoir plus que zéro ? Quatre points par faute, une demi-faute pour l’orthographe d’usage et un quart de faute pour les accents, s’ils ne relèvent pas d’une faute de grammaire : zéro ! N’en parlons plus… mais une douzaine de bulles dans un trimestre, ça fait baisser la moyenne !

Surtout qu’ailleurs ça vole pas bien haut non plus. En français j’atteins la moyenne nulle part, je frôle le nul en anglais (j’écris “englais” sur mon carnet, par contamination des langues). Dans les autres matières, les notes sont aléatoires c’est-à-dire déterminées par la chance : une leçon apprise à propos, j’en apprends encore quelques-unes, que je récite à maman ou à papa par gros temps, un cours bien écouté et retenu, car intéressant, une tricherie réussie, de bonnes bases en mathématiques où je dépasse fréquemment la moyenne… J’arrive ainsi sans effort particulier, à une moyenne générale de dix tout juste. A signaler une moyenne de 11,6 en éducation physique, reflet équitable ou plutôt flatteur, de mes performances olympiques.

            Le choc est rude pour mes parents à la lecture du bulletin du premier trimestre. Les Parisiens découvrant le Bulletin de la Grande Armée après la Bérézina ne devaient pas être plus stupéfiés. Moi aussi ! Je croyais naïvement que 10 n’était pas une si mauvaise moyenne, que j’avais des réussites par-ci, par-là : quatrième en Histoire avec 19, sixième en sciences naturelles avec 13,5… mais c’est là tous mes exploits. Une reprise en main est aussitôt décidée. Papa : 

– Je vais m’occuper personnellement de tes devoirs et de tes leçons, finis les jeudis dehors à traîner, finis les illustrés stupides que tu lis trente-six fois de suite. Je vais te faire travailler moi…Tiens-toi droit et mouche ton nez !

– Ma moyenne, c’est à cause des zéros en orthographe.

– Et cinq en Anglais !

– Cinq et demi.

– Tu vas voir !

J’ai été trop loin, une injustice ne motive pas une impertinence. Il ne m’a pas battu cependant.

Mais j’aurais dû me méfier, il s’est vengé de mon bulletin désastreux. Pendant les vacances de Noël, il m’a fait étaler la misère de mes outils de travail, tâchés, cornés, illisibles, cousus de fautes. Il avait bien raison de ne pas les regarder précédemment, notre moral en aurait pâti. J’ai récité quelques leçons anciennes réapprises, refait des exercices pas trop difficiles, distripé un peu d’anglais (Distriper, de stripou, tripes : parler approximativement) mais le plus dur m’attendait.

Dans la cheminée de ma chambre, grand-père a mis un pilgos (une souche) à brûler, une douce chaleur fait rayonner nos joues éclairées par le feu devant lequel demain, s’étaleront les cadeaux. À 8 heures, maman me réveille pour aller à la messe. Dans la cheminée, rien que de la cendre. Il fait froid, les cadeaux ne sont pas encore arrivés. Après la messe, je cours plein d’espoir, pour rentrer à la maison.

Dans mes sabots, pour moi, un petit paquet seulement. J’arrache le papier cadeau. Je comprends pas tout de suite. Un livre, avec une couverture moche à bandes bleues et rouges, marqué : FRANÇAIS-ANGLAIS ENGLISH-FRENCH LAROUSSE. Un dictionnaire d’anglais ! Mon seul cadeau. J’ai rien dit. La rupture était consommée. Pas de pardon. J’ai compris que j’étais un cancre, un banni des jouets, un exilé des cadeaux, un morfondu des fêtes. Maman a écrit mon nom à l’intérieur du livre et la date : 1953, j’ajoute à l’encre bleu-noir de mon écriture maladroite : “Noël”.