Le 06/08/2022
Les aventures du chevalier de Fréminville, marin savant et travesti
Pour ceux qui n’auraient pas encore lu le livre en voici un extrait :
« Notre capitaine décide de rallier Cherbourg. Mais la route est longue et on ne peut porter que les basses voiles. Il fait presque nuit quand nous arrivons dans l’ouest de Cherbourg. Il faut embouquer la passe de Querqueville sans trop s’approcher de la côte.
Je suis sur le point de me coucher, épuisé, quand la cloche appelle tout le monde sur le pont. Je me précipite sur l’échelle pour gagner la batterie et de là le panneau de l’arrière quand, dans un coup de roulis terrible, la frégate se couche sur tribord. Les boulets sortent de leurs parcs et roulent avec fracas sur le pont. Je suis sur l’échelle. Elle sort de ses taquets et me frappe violemment sur les côtes. Je me raccroche de justesse au surbau du panneau au-dessus de ma tête. Ainsi pendu dans le vide, une douleur intense me déchire la poitrine. Un canonnier m’a vu. Il me tire par les bras de ma situation critique. Le navire s’est enfin redressé. Je me traîne sur le tillac en crachant du sang.
Dans une demi-obscurité, la tempête mène une bacchanale ahurissante. Des murs d’eau noire sillonnés d’écume sale, menacent de s’effondrer sur nous. Le vent arrache littéralement le sommet des vagues et nous arrose en permanence d’une douche glacée. Les nuages noirs sont frangés de lueurs de sang et la lune apparaît par instant, phare blafard jetant son linceul sur le navire et la mer. L’idée de la mort m’assaille et bizarrement, je n’ai pas peur. La douleur qui se manifeste à chaque mouvement que je fais, à chaque choc que le navire m’inflige, me signifie que je suis encore vivant. Je ne vais pas mourir. Je m’accroche à un canon pour ne pas être emporté par les masses d’eau qui balayent le pont.
Le vent nous pousse à la côte, il faut virer de bord, remettre de la toile. Le grand hunier déferlé, se déchire et claque comme un fouet. Le commandant Laignel jambes écartées, porte-voix à la main, parfaitement calme, ordonne de larguer le petit hunier. Les gabiers hésitent à monter sur la vergue. Un élève de seconde classe, Monsieur Heuverard montre l’exemple et s’élance le premier. La voile est établie et bordée. Elle tient bon. La frégate abat enfin et vient vent arrière. Nous regagnons le large. Je voudrais me coucher mais le poste est bouleversé, inondé, mon hamac trempé. Je me rencogne entre deux couples, secoué de quintes de toux douloureuses. Je ne dormirai pas. »