En visionnant mes photos prises sur la côte sauvage entre Trémazan et Portsall (commune de Landunvez), non loin de la chapelle de saint Samson, j’ai eu la surprise de découvrir une image étrange. Un rocher semble flotter dans le ciel ! Quand j’ai pris la photo, des petits bateaux jouaient au premier plan, leurs voiles de couleurs vives avaient attiré mon attention. Je n’avais rien remarqué de spécial dans le ciel. Mais là, sur l’écran de l’ordinateur, il n’y a pas de doute, un roc navigue dans l’azur.
Je pense d’abord, en rationaliste impénitent à une aberration optique de l’appareil photographique. Impossible, d’autres objets de second plan se seraient également retrouvés dans le ciel. Peut-être un mirage ? Pourquoi pas, mais malgré le beau temps, la température est fraîche et on ne perçoit aucune vibration de l’air au-dessus de la mer. Alors qu’est-ce ?
J’étais là, assis dans l’herbe profonde, environné par la multitude des ombellifères qui blanchissent le rivage. Des dos de granit percent par endroit, ponctués de minuscules touffes de lichen vert tendre et de dentelle d’or. Le chaos de roches noires, à peine frangé d’écume éclatante, plonge dans une mer calme d’un bleu profond. Au loin on aperçoit Ouessant qui se dilue doucement dans la brume. La carcasse brisée de l’Amoco Cadiz, gît là dans les profondeurs, invisible, son venin gluant de bête morte, épuisé maintenant sans doute, ne se répandra plus, mais l’épave témoignera longtemps encore de la catastrophe. Alangui par le calme et la beauté, je ne voyais pas plus le roc volant que le pétrolier tueur.
Pourquoi s’étonner d’un rocher dans les airs ? Nos ancêtres voyaient bien arriver en Armorique les saints bretons voguant dans des auges de pierre. Pour faire la traversée Pol s’était embarqué sur un navire marchand. Une tempête survint, le navire menaçait de sombrer. Le capitaine pour l’alléger, fit jeter à la mer l’auge de granit qui servait de lit à Pol et dans laquelle il priait. L’auge fendit les flots comme une barque légère et Pol gagna la terre pendant que le navire sombrait avec sa bénédiction. Budoc naquit dans le tonneau dans lequel son père avait enfermé sa mère Azénor et qu’il avait jeté à la mer pour la punir de son infidélité supposée. Le tonneau aborda sans encombre en Irlande. Budoc, revint en Armorique dans une auge de pierre, plus confortable qu’un tonneau. Gildas aussi traverse la manche dans une auge de pierre, Konogan également et bien d’autres.
La légende est tenace, elle doit bien avoir une part de vérité. Les curraghs, petits bateaux bordés en cuir dont se servaient les émigrants pour traverser la Manche, étaient lestés avec des pierres. L’une d’elle, plus grande que les autres, était creusée d’une cavité où venait se loger le pied du mât. Le curragh abandonné sur la grève était rapidement détruit par les éléments. Restaient les pierres, et particulièrement, celle de pied de mât qui ressemblait vaguement à une auge. Ainsi serait née la légende.
On peut supposer que le roc volant révélé par la photo est du même acabit. Des émigrants de Cornouailles ou du Pays de Galles, voire d’Écosse ou d’Irlande du Nord, fuyant le Brexit, auraient affrété un rocher volant (ça va plus vite qu’une auge et modernité oblige) pour gagner les terres d’Armorique, prometteuses de paix et de spiritualité. D’ailleurs, on ne compte plus sur nos côtes ce genre de rochers, témoins de leur arrivée.