Une fleur
Promenade acrobatique au bois de Keroual dévasté par la tempête Ciarán. Des arbres brisés, arrachés, barrent les sentiers qui n’ont pas encore été dégagés. Nous passons dessous en courbant l’échine ou dessus en levant la jambe. Ce n'est plus de notre âge où la rigidité a pris le pas sur l’agilité.
À l’issue d’un chemin encombré nous rencontrons un jeune couple accompagné d’une petite fille d’environ quatre ans, jolie brunette aux cheveux courts. Nous les avertissons que la progression est difficile et que la gamine aura peut-être du mal à passer. La conversation s’engage. La petite est très dégourdie, ça ira… C’est curieux comme on peut sympathiser avec des gens que l’on ne connait pas (peut-être justement pour ça). Ils sont jeunes, beaux et ne professent pas d’idées à la mode (pas devant nous en tout cas, respectueux sans doute de notre décalage idéologique quasi séculaire).
La petite fille cependant s’est un peu éloignée. Elle revient avec une fleur minuscule à la main et l’offre sans dire un mot à ma femme. Stupéfaite elle accepte le présent. Se penchant sur l’enfant :
– Merci, tu es gentille, je vais la garder précieusement. Comment tu t’appelles ?
Elle bredouille quelque chose qu’on ne comprend pas bien. Sa mère précise :
– Juliette.
– C’est joli comme nom.
Nous nous séparons un peu émus. Pourquoi cette petite fille a-t-elle offert une fleur à une dame qu’elle ne connait pas ? On ne sait, ce qui est sûr c’est que son geste était plein d’empathie, désintéressé. Qui sait si à son âge on lui a déjà enseigné ou qu’elle a compris toute seule, qu’une mamie doit être célébrée.
Nous continuons notre promenade. Des cris et des aboiements attirent notre attention. Un jeune homme accompagné de deux femmes élégantes excite un chien. Une espèce de bulldog (une race de chiens dont le museau a été raccourci par des sélections impitoyables ce qui leur permet à peine de respirer). L’homme hurle sur le chien qui ne comprend pas ce qu’on lui veut. Désemparée, la bête fait n’importe quoi et aboie pour montrer qu’elle n’est qu’un chien. Ce qui fait rire les deux femmes devant son désarroi et se rengorger le tyran, qui le tourmente de plus belle à l’aide d’un bâton.
Nous avions cru un instant que le monde était beau comme celui d’une petite fille. Il n’en est rien bien sûr. La stupidité, la méchanceté règnent, quand ce n’est pas la cruauté. Dans le bois mutilé, nous sommes obligés de penser aux guerres…