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patriarcat

Venus de laussel

Le sacré

Le 29/04/2024

Le sacré

Livre de Frédéric Lenoir « L’Odyssée du sacré » (Albin Michel, 500 pages) Résumé

À l’aube de l’humanité, quand il y avait encore des Néanderthaliens (de – 450 000 à – 35 000), les hommes enterraient déjà leurs morts. Les premières traces de rituels funéraires remontent à environ – 100 000 ans. On ne peut pas encore parler de croyances en une vie après la mort pour cette période, les outils, les armes et même des fleurs, déposés près des corps ne sont pas une preuve suffisante. Ce sont peut-être seulement des marques d’attachement au défunt.

Les chasseurs cueilleurs pratiquaient probablement l’animisme et le chamanisme. L’animisme attribue une âme ou un esprit à tous les êtres vivants et aux éléments naturels (eau, feu, rochers, etc.) qui possèderaient une intériorité semblable à celle des humains. Il serait alors possible de communiquer avec eux en pratiquant leur langage, incompréhensible généralement, mais accessible dans un état de conscience modifiée par la transe ou l’extase et l’absorption de drogues. C’est le chamanisme. Le chamane dialogue avec les esprits, il peut posséder un être humain ou un animal ou être lui-même possédé (se transformer en animal par exemple). Les œuvres pariétales seraient liées au chamanisme. La représentation d’animaux et plus rarement d’hommes dans les grottes, serait la première manifestation de croyances magiques. Avec l’animisme, l’homme primitif se considère comme faisant partie intégrante de la nature. Il ne lui est pas supérieur. Tout est sacré, on n’a pas encore inventé de dieux.

Au néolithique, avec l’apparition de l’élevage et de l’agriculture, les humains se sédentarisent, construisent des maisons, se regroupent en villages. La notion de propriété apparaît, induisant richesse et héritage (et hiérarchie sociale) ainsi que le culte des ancêtres. L’homme maîtrise partiellement la nature mais toutes les calamités qui lui tombent sur la tête lui font penser qu’il y a quelque chose au-dessus de lui, qu’il faut vénérer et implorer, en sacrifiant parfois de précieuses têtes de bétail (ou même des humains). Les premiers temples sont édifiés vers – 10 000 ans ainsi que les sites mégalithiques.

La déesse mère première figure divine, apparaît alors comme responsable de la fécondité et de la fertilité. La procréation, considérée comme magique, est due à la femme, on lui associe la fertilité de la terre, la divinité ne peut donc qu’être féminine. Elle est souvent représentée par des statuettes de femmes callipyges.

Avec les progrès des techniques, des surplus apparaissent et font l’objet d’échanges, le commerce s’organise. Certains travaillent quand d’autres s’enrichissent et prennent le pouvoir, parfois au prix de conflits armés (il ne faut pas croire qu’ils inventent la guerre, depuis les premiers âges les hommes trouvent des prétextes pour s’entretuer, les preuves archéologiques abondent). Le mâle devient dominant, il croit avoir compris, en observant les animaux, que c’est son sperme qui donne la vie. La femme n’est plus qu’un réceptacle. La déesse mère ne s’efface pas encore mais un dieu père la domine. Le patriarcat est né.

Les villages deviennent des cités puis des états, enfin des empires. Il devient nécessaire de s’en remettre à des divinités plus puissantes de plus en plus nombreuses et hiérarchisées, pour lesquelles on construit des temples somptueux parfois gigantesques. L’homme crée des dieux à son image parfois associée à des animaux (à quoi d’autre pourraient-ils bien ressembler ?) et à son usage. Le clergé, les professionnels des dieux, s’organise, se hiérarchise et gagne un pouvoir et une richesse immense. Souvent les rois incarnent eux-mêmes le divin.

Entre 800 et 200 avant notre ère le monde connaît le plus grand bouleversement spirituel de son histoire. C’est l’âge axial ou âge pivot (Friedrich Hegel). En Chine, en Inde, en Perse, en Israël, en Occident, religions et philosophies se tournent vers l’individu. L’être humain prend conscience de sa responsabilité vis-à-vis de lui-même et des autres. Son bonheur ici-bas et post mortem ne dépend finalement que de lui. Ce sont les religions du salut encore pratiquées de nos jours. Les monothéismes et les sagesses universalistes sont portés par de grands penseurs et des prophètes, qui enseignent que le salut individuel est lié à l’observance de règles morales.      

À la Renaissance se produit une dernière révolution de la religiosité. Le monde moderne se fonde sur l’esprit critique, l’individualisation et la globalisation. L’Occident ose l’émancipation de la raison à l’égard de la foi et celle de l’individu à l’égard de la tradition. L’humanisme pose les premiers fondements de la liberté individuelle. Les Lumières des philosophes vont éclairer le monde occidental et déclencher de multiples révolutions aussi bien laïques que religieuses et scientifiques.

Mais la liberté à un prix, le monde moderne se bricole une spiritualité à la carte. Chacun se constitue des convictions. Le déclin de la religion se paie en difficulté d’être soi. D’où la recherche du bien-être, du développement personnel. « Nous sommes voués à vivre désormais à nu et dans l’angoisse, ce qui nous fut plus ou moins épargné depuis le début de l’aventure humaine par la grâce des dieux » (Marcel Gauchet). Il ne manque pas de solutions réactionnaires à l’asthénie de Dieu : les courants intégristes ou identitaires, conservateurs, sectaires, les philosophies asiatiques, la magie, etc. On peut aussi dialoguer avec les morts grâce au spiritisme, faire appel à un médium, un chiromancien…

Reste à savoir si la religiosité est inscrite dans nos neurones, si l’homo sapiens croit en Dieu parce que c’est dans sa nature. La réponse n’est pas pour demain malgré les progrès de l’imagerie cérébrale. Toute tentative pour comprendre le sens profond du sacré et donc du non rationnel de l’expérience spirituelle, passe par une démarche rationnelle ne serait-ce que pour transmettre les hypothèses émises. C’est une aporie incontournable. Il ne faut pas compter sur le transhumanisme ou l’intelligence artificielle pour y parvenir.

On n’est pas sorti de l’auberge ! (C’est moi qui le dit.)