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St malo 2

Les vieux

Le 28/08/2023 0

La salle d’attente du laboratoire est propre mais triste. Une dizaine de chaises en plastique est répartie autour de la pièce, les murs sont peints en gris. Au centre, sur une table basse, sans doute blanche à l’origine, un quotidien fatigué a été oublié. Depuis l’épidémie de Covid on n’y met plus de revues. Ici on passe échographies, radiographies, mammographies, densitomètries, etc. J’accompagne mon épouse et je patiente en attendant qu’elle revienne de son examen. La salle d’attente est séparée du bureau des secrétaires qui s’occupent des entrées, par un simple paravent en bois vernis. On entend tout ce qui se dit sans rien voir.

– Vous avez rendez-vous ?

– Oui, c’est madame L.

– Prénom ?

– Lucette.

– Adresse, numéro de téléphone, carte vitale, carte de mutuelle, carte d’identité si vous l’avez…

– J’ai pas ma carte d’identité, je ne sais pas où je l’ai fourrée. Vous voulez mon dossier ?

– Non, gardez-le. Bon, ça ne fait rien… Vous avez rendez-vous à quinze heures quarante-cinq. Vous pouvez passer dans la salle d’attente.

Je regarde ma montre il est à peine quinze heures. Nous avons déjà à un quart d’heure de retard, cette dame a donc au moins une heure d’attente devant elle. Une voix un peu casée demande les toilettes :

– Où c’est ?

– Derrière vous !

– C’est fermé.

– Occupé, il faut attendre.

C’est vrai que c’est bougrement occupé. La chasse d’eau ne cesse de retentir. L’explication m’est donnée par les messages qui défilent sur l’écran de télévision qui égaye la salle d’attente. Peu divertissants mais clairs : « pour les examens abdominaux (ventre) et pelviens (bas ventre) vous devez vous présenter la vessie pleine. Si vous ne pouvez plus tenir, vous pouvez uriner en évitant de vider complètement votre vessie, vous devrez boire un verre d’eau aussitôt après… » Un bidon d’eau douce avec des gobelets est placé à proximité.

Deux personnes âgées (pas tant que ça en fin de compte, à première vue elles ont le même âge que moi) entrent dans la salle d’attente après un dernier bruit de chasse d’eau. Je reconnais la voix de Lucette et celle de son mari qui l’accompagne (c’est lui qui a demandé les toilettes). Car ils parlent. Une espèce de babil continu qui ne tient aucun compte des personnes présentes : deux femmes d’environ quarante ans qui attendent stoïquement leurs résultats et moi-même.

Elle porte une robe fleurie asymétrique (ou peut-être qu’elle a glissé de travers tellement elle est grosse). Lui, grand et maigre, porte un jean fatigué flottant sur ses os et une chemise avec un sweat par-dessus. Elle ne s’est pas assise et se tient pliée en deux pour fouiller dans son sac, un fourre-tout noir qu’elle a posé sur la table basse. Il veille sur un grand sac en toile orange, sans doute un cadeau publicitaire, qu’il a posé à ses pieds. Lucette :

– Je ne trouve pas mon ticket de bus.

– Je t’avais dit de le ranger dans ton portefeuille.

– T’es con ! Où je l’aurais mis ?

– C’est peut-être moi qui l’ai ?

Il se met à fouiller dans son sac lui aussi. Il sort un rouleau de papier hygiénique.

– J’ai apporté le papier cul. Je t’avais bien dit que ça ne servait à rien. Y en avait dans les ouaters.

– Forcément, si on n’en avait pas apporté y en aurai pas eu.

– On est dans un laboratoire quand même.

– Tu comprends rien, t’es nul. Je t’ai expliqué cent fois : si tu n’en apportes pas y en aura pas !

– Oui je sais. J’ai trouvé mon ticket de bus…

– Qu’est-ce tu veux que ça me fasse, c’est le mien que je cherche.

– Dans ton portefeuille peut-être ?

– Ah ! Voilà, j’ai trouvé ma carte d’identité.

– Ça sert à rien, elle est périmée.

– Et toi, t’est pas périmé peut-être ?

Le mari de Lucette ne répond pas car du côté du bureau ça hausse la voix. Une secrétaire parle fort, à un vieillard probablement :

– Quelqu’un vient vous chercher ?

– Je ne sais pas.

– Vous allez où ?

– Je ne sais pas.

– Comment vous êtes venu ?

– En ambulance.

– Quelle société ?

– Je ne sais pas.

La secrétaire discute avec ses consœurs. Elle décroche le téléphone :

– Allo, les ambulances Du Gisant ? C’est vous qui nous avez convoyé Monsieur…Monsieur… On lui souffle son nom. Monsieur K. ?

Coup de chance, la réponse est positive semble-t-il.

– Il a été largué chez nous comme un paquet. Il ne sait pas où il va…

L’affaire est réglée les ambulances Du Gisant vont venir le chercher. Il y a quand même des gens responsables dans ce métier.

Lucette et son mari continuent de s’invectiver presque calmement en fouillant dans leurs sacs. Elle ne s’est pas encore assise sur sa chaise. J’apprends qu’elle vient pour une mammographie de contrôle, elle n’est pas malade. Tant mieux pour lui car elle ne doit pas être facile à soigner… mais on est capable de tout faire et subir quand on s’aime ! Il se lève pour aller faire pipi. Cassé en deux. Je pense qu’il n’a pas passé sa vie à enfiler des perles. Il louvoie aléatoirement entre la table basse et les pieds des patients qui les ramassent prestement sous leur chaise.

– Fait attention quand même ! Pourquoi tu n’as pas pris ta canne ?

Il fait de son mieux le vieux mais les encouragements acides de sa femme ont plutôt l’air de l’agacer.

Les deux femmes qui attendaient ont reçu leurs résultats et sont parties. Je suis un peu inquiet de rester seul avec Lucette mais une autre femme entre dans la salle d’attente. Plutôt jeune, vêtue d’un ensemble élégant, jupe veste vert pâle, genre DRH. Elle porte un épais dossier dans une chemise noire en maroquin (ou en plastique plus vraisemblablement), serré entre ses bras comme un bébé et tient dans une main un sac à dos de randonnée qui me semble bien lourd. Elle a peut-être apporté son fer à repasser.

Elle s’assied sans hésiter près de moi, alors qu’il y a de la place en face près de Lucette qui s’est enfin assise, bien calée sur sa chaise. Le gros dossier noir sur ses genoux, la DRH tire du sac à dos un ordinateur portable métallisé, épais comme une limande. Elle l’ouvre sur la liste de ses mails. C’est écrit trop petit, je n’arrive pas à lire. Elle non plus. Elle sort du sac une paire de lunettes loupe, tape quelques lignes et referme l’ordinateur.

On l’appelle déjà. Elle range le luxueux appareil dans le sac à dos, en tire un plaid qu’elle drape sur ses épaules (il ne fait pas chaud en ce mois de juillet à Brest), capelle le sac à dos par-dessus, serre à nouveau le gros dossier noir sur sa poitrine et se tourne vers l’accueil. J’admire au passage ses mollets secs et musclés (par le port quotidien de hauts talons je suppose).

Le dialogue entre Lucette et son mari a repris de plus belle. Je trouve qu’elle est un peu dure avec lui, pourtant il ne me paraît pas plus bête qu’elle. En tout cas, lui, il a trouvé son ticket de bus. Mon épouse revient enfin. Encore un quart d’heure pour avoir le compte-rendu et nous serons délivrés.

Quel âge ont-ils nos deux tourtereaux ? On peut les dire vieux sans les offenser. Ils ont peut-être encore cinq, dix ans à vivre en pleine conscience. Le temps de retrouver la carte de bus de Lucette.

Après… Moi pareil !

       

                                   

 
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