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Le 28/11/2024
De la maréchaussée
La moustache faisait le gendarme. Du haut de son cheval, noblement coiffé de son bicorne, sabre au côté, le gendarme en imposait d’autorité virile, incontestable. Une guerre de la moustache eu lieu en 1832. Le ministre de la guerre dans sa toute-puissance, imposa à tous les militaires le port de la moustache mais les gendarmes en furent privés. Tollé, grogne, indignation. Il fallut le maréchal Soult pour leur rendre justice et rétablir le poil obligatoire sur la lèvre supérieure des gendarmes en janvier 1833. Ils l’ont gardé jusqu’en 1933 où enfin elle ne fut plus qu’optionnelle (envisageait-on déjà la féminisation ?).
La maréchaussée, héritière des archers du Chevalier du guet, fut finalement supprimée à la révolution. Elle évoquait sans doute trop de mauvais souvenirs pour les révolutionnaires. La gendarmerie moderne fut instituée. Son rôle principal, outre le maintien de l’ordre, était de surveiller les armées, chasser les déserteurs pour les ramener au combat et rechercher les insoumis (conscrits qui cherchent à échapper à l’armée). Le commandant Parquin conte qu’un gendarme l’a arrêté alors qu’il se retirait de la ligne, une balle lui ayant traversé la figure à la bataille de Ciudad Rodrigo en 1811. Plus modestement, je fus interpelé par un gendarme maritime à la porte Castigneau de l’arsenal de Toulon en 1967, pour porter des socquettes noires avec un uniforme kaki (au lieu des socquettes assorties).
En temps de paix, la police hors des villes leur est confiée. La différence principale entre un militaire et un fonctionnaire, c’est que le militaire tire sur ordre quand le fonctionnaire ne peut faire usage de son arme qu’en légitime défense. Autant dire qu’aujourd’hui le statut de militaire des gendarmes n’a plus de justification (pas plus que leur désastreux logement en casernes). La surveillance de la couleur des chaussettes et de la délinquance des militaires peut se régler dans le cadre général de la police.
L’Europe demande instamment à la France de supprimer l’usine à gaz de la gendarmerie, coûteuse et sous employée. Un premier pas a été fait en la rattachant au ministère de l’intérieur mais aucune économie ni simplification n’en résulte, bien au contraire. Doublons et rivalités persistent (et ne parlons pas de la police municipale).
La pusillanimité de nos gouvernants (ou l’électoralisme) conduit à limiter les réformes de productivité, forcément impopulaires. Supprimer la gendarmerie, quel tsunami ! Enfin la simplification et les économies sont impossibles, si on prend pour principe de créer un nouvel organisme (et des lois) à chaque problème qui se présente, fut-il ponctuel. La ministre de l'Agriculture propose la création d'un "Conseil d'orientation pour la protection des cultures" quand les agriculteurs répandent du fumier à la porte des préfectures. On se demande ce qui est le plus propre à régler les problèmes de nos paysans.
Le panorama de l’administration française ressemble à un tableau de Jérôme Bosch, c’est beau, inventif, foisonnant, mais ça fait peur. Et c’est très cher !
Le 28/10/2024
L’écriture
Mon grand-père disait : « L’écriture est la science des ânes. » Il n’écrivait pourtant pas si mal, si j’en juge par les lettres qu’il écrivait à ma grand-mère pendant la guerre de quatorze. Quant à moi, l’instituteur me cantonnait à la plume sergent major, raide comme une baïonnette, alors que les autres avaient le droit à une plume plus souple. Il prétendait que je n’étais pas prêt pour les pleins et les déliés, que j’écrivais trop mal. Je me vengeais en multipliant les pâtés et les ratures sur mes cahiers cornés. Nous étions encore loin des crayons à bille encore interdits au collège en 1953 quand j’y entrai.
Le besoin de communiquer par signes graphiques est sans doute apparu avec le langage : Un ours schématisé suivi d’une croix gravé sur l’entrée d’une grotte : « N’entre pas ici y a un ours… » Premiers idéogrammes (littéralement qui dessine des idées) ou parole écrite. Entre trois et quatre mille ans avant notre ère, les hommes ont commencé à normaliser l’écriture en Égypte et en Mésopotamie mais notre écriture (latine) est issue d’une longue évolution de l’écriture phénicienne.
Idéalement une lettre correspond à un son de la langue parlée mais nous n’en avons pas assez pour cela. À chaque fois que le nombre de lettres ne coïncide pas avec le nombre de sons on est obligé de multiplier les règles spéciales et les signes additionnels (accents, points, cédille, lettres muettes, associées, redoublées, etc.). Ces règles spéciales souffrent aussi d’exceptions qui engendrent de nouvelles règles, d’où une complication infernale nommée orthographe et les fautes qui s’en suivent.
En breton ancien toutes les lettres se prononçaient, maudits soient les universitaires qui ont inventé l’orthographe bretonne dont on n’a nul besoin. Certaines langues ont un alphabet sur mesure, le cyrillique par exemple, qui rend les fautes quasi impossible. Les chinois ont introduit l’alphabet phonétique pinyin qui permet l’écriture à ceux qui n’ont pas une connaissance suffisante des idéogrammes. Le nushu, système d’écriture syllabique réservée aux femmes dans la province de Jiangyong, permettait à celles-ci de communiquer à l’insu des hommes. La scolarisation des filles étant interdite, l’écriture nushu était enseignée par les grands-mères au sein des foyers chinois.
L’écriture est parfois belle. Elle peut refléter la personnalité (Marx écrivait avec ses griffes, son écriture était presque indéchiffrable) mais la graphologie est une science molle, sans démonstrations rigoureuses (le capitaine Dreyfus en a fait les frais). Chaque écriture peut être ornée, l’art de la calligraphie est de toutes les cultures. L’arabe y est particulièrement favorable (le Coran fut le premier livre jamais écrit en langue arabe d’après Muhammad Hamidullah). D’autres écritures rivalisent d’originalité et d’élégance, les tortillons du malayalam ou le surlignage de plusieurs écritures indiennes, le bengali par exemple, qui semblent écrites sous la ligne.
On peut dire que dans l’écriture c’est le fond qui compte et non la forme, il reste néanmoins que les plus beaux mots d’amour sont écrits à la main. Un clavier n’obtiendra pas le même effet, même en ajoutant des émoticônes ! Les petits billets ornés de cœurs, que les collégiens s’échangeaient sous la table, ont presque disparu. Si les téléphones sont interdits, ils reviendront peut-être.
Le 26/09/2024
Numérologie
« Les nombres ne servent pas qu’à compter. Les mathématiques servent à mesurer des quantités quand la numérologie s’intéresse à la valeur symbolique et à la résonnance des nombres. Chaque nombre représente une influence, une vibration subtile et détermine un de nos nombreux conditionnements. La numérologie est l’art de faire parler les nombres. Il s’agit pour l’artiste numérologue d’interpréter la symphonie des nombres qui jalonne notre vie. » (Roger Le Lann, préface de “La numérologie” sans prétention par Mady)
Les nombres des anciens grecs étaient notés par des lettres. Aujourd’hui pour le chiffre un on écrirait U, pour deux D… etc. Cette notation peut faire apparaître dans un calcul, un mot ayant une signification. Zorba en calculant la surface du champ qu’il veut vendre, tombe sur le mot MORT en multipliant la longueur par la largeur. On comprend qu’il hésite à le vendre en l’état.
Pythagore (580-495 av. J.-C.) fonde une secte dont il est le gourou. Son enseignement porte sur la théorie des nombres en relation avec la géométrie (on connait le théorème qui porte son nom et qu’on appelle aussi le pont aux ânes pour les élèves qui refusent de comprendre une évidence). Le fait de représenter les chiffres par des lettres engendre une dérive ésotérique. Les pythagoriciens utilisent la somme des chiffres donnés par les lettres d’un mot pour associer une valeur à celui-ci. Ce procédé est à la base de la numérologie. Cette pratique est reprise par la tradition cabalistique juive. « C’est ici qu’il faut de la finesse ! Que l’homme doué d’esprit calcule le chiffre de la bête, c’est un chiffre d’homme : son chiffre, c’est 666. » (L’Apocalypse 13-18. Le nombre 666 est la somme des lettres de César-Néron en hébreu ou 616 en grec pour César-Dieu.) On peut penser aussi aux dimensions du temple de Jérusalem, au nombre d’or, etc…
Correspondance des lettres et des chiffres
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
7 |
8 |
9 |
A |
B |
C |
D |
E |
F |
G |
H |
I |
J |
K |
L |
M |
N |
O |
P |
Q |
R |
S |
T |
U |
V |
W |
X |
Y |
Z |
|
Exemples d’utilisation de la numérologie (selon le livre de Mady) :
E |
M |
M |
A |
N |
U |
E |
L |
M |
A |
C |
R |
O |
N |
5 |
4 |
4 |
1 |
5 |
3 |
5 |
3 |
4 |
1 |
3 |
9 |
6 |
5 |
En additionnant tous les chiffres nous obtenons : 58, 5+8=13, 1+3=4. La personnalité d’Emmanuel Macron est donc du type 4. C’est-à-dire qu’il est discret, méthodique, volontaire, fidèle en amitié, têtu…
Son chemin de vie obtenu en additionnant les chiffres de sa date de naissance donne 3 : « Un tapis rouge se déroule sous vos pieds à la naissance. Vous êtes venu dans cette vie pour créer et rayonner. Vos outils pour la réussite : le travail sur soi, un brin d’humour, la lucidité pour ne pas tomber dans le piège de l’autosatisfaction béate en astiquant votre ego chaque matin histoire de briller pour le plaisir. »
Les chiffres de votre année, addition de la date de naissance et de l’année courante (5 pour 2024) indiquent qu’il y a de l’électricité dans l’air, vous serez freiné dans vos désirs de changements. L’énergie est bonne mais vous ne devrez pas surestimer votre potentiel de récupération et attention au stress, ce qui serait un comble, vu l’état d’excitation dans lequel vous êtes déjà… Pour l’année 2025 (le 6) vous êtes à un carrefour de possibilités attrayantes, de la scène artistique à la présidence de la république (authentique !) mais il faudra assumer vos choix jusqu’au bout, en maîtrisant votre tendance au perfectionnisme, au narcissisme et à l’exigence démesurée…
Ceci n’est qu’un bref aperçu des possibilités de la numérologie. Tout comme l’astrologie elle n’est fondée sur rien de scientifique et n’a donc aucune valeur autre que celle de divertissement. Les indications sur la personnalité ou les prédictions obtenues sont suffisamment floues pour que tout le monde y trouve son compte, voire son bonheur. Parfois dans un éclair de génie, madame Irma tombera juste et vous dira ce que vous savez déjà. Quant à l’avenir, rien n’est plus difficile à prévoir.
Le 29/08/2024
La gamine de Dénisova
En ce temps-là, il y a environ 50 000 ans, une adolescente de douze ou treize ans est morte dans une grotte du massif de l’Altaï en Sibérie. Elle ne se doutait pas probablement, que sa disparition allait déclencher une révolution. Et que la dernière phalange de son petit doigt (c’est tout ce qu’il reste d’elle) révèlerait en 2010 une nouvelle espèce d’hommes préhistoriques, contemporaine des Néandertaliens et homo sapiens. On l’a appelée Homo denisovensis du nom de la grotte où on l’a trouvé.
On peut se demander s’il s’agit réellement d’une révolution. L’évolution buissonnante du genre homo laisse supposer que de nombreuses espèces n’ont pas encore été découvertes. Quand on parle d’espèces il faut entendre plutôt morpho-espèces car elles sont fécondes entre-elles. À la différence de l’âne et du cheval, espèces différentes car le mulet ou le bardot sont infertiles.
Quel lupanar dans les grottes ! Tout le monde couche avec tout le monde, les dénisoviens, les néandertaliens et les sapiens se mélangent, chacun apportant des avantages génétiques permettant de s’adapter à la nourriture disponible, à l’altitude, au froid, aux maladies du climat tropical… Ainsi sapiens et néandertaliens peupleront l’Europe et sapiens et dénisoviens l’Asie (je simplifie). Les alliances néfastes élimineront les malchanceux. Restent les mieux adaptés. Le premier métis connu est une fille de 90 000 ans dont le père était dénisovien et la mère néandertalienne.
La véritable révolution est le mode de découverte des dénisoviens à partir d’un os minuscule. Une nouvelle forme humaine était identifiée à partir de son ADN, non pas par ses fossiles mais par ses gènes dont on retrouve partout la trace, surtout en Asie. La génétique apporte aussi la preuve que sapiens et néandertaliens pouvaient se reproduire entre eux (il y a quinze ans les scientifiques croyaient avoir prouvé le contraire).
La gamine dénisovienne était plutôt jolie. De loin elle ressemblait à sa robuste cousine néandertalienne mais son visage sans menton était plus plat et plus large, les arcades sourcilières ne se rejoignaient pas au milieu du front comme celles des néandertaliens. Son crâne en forme de ballon de rugby (de capacité supérieure à la nôtre) semble porter des lunettes de moto avec ses orbites presque carrées et ses arcades sourcilières bien séparées. Qui sait si en la voyant dans la rue aujourd’hui, on ne la prendrait pas pour une touriste chinoise un peu costaude.
On trouve moins d’outils en pierre en Asie qu’en Europe car l’usage général du bambou permettait de limiter la taille fastidieuse des galets. En revanche on trouve des traces d’utilisation du feu depuis 800 000 ans ! La domestication du feu attestée, daterait de 400 000 ans environ. La cuisson des aliments a accéléré l’évolution. L’économie sur l’énergie de digestion a profité au cerveau, le système digestif a diminué de 40 % (par rapport aux primates) quand la capacité crânienne augmentait plus vite que la stature. Notre gros cerveau est dû à la cuisson des aliments (les crudivoristes ne sont pas pour cela des imbéciles). La gamine dans sa grotte devait appliquer des recettes de cuisine, on a la preuve que certains dénisoviens cuisait le poisson à l’étouffée. Les chasseurs-cueilleurs mangeaient tout ce qu’ils trouvaient, parfois des choses peu ragoutantes. La cuisine chinoise en garderait-elle la mémoire ?
Nous avons en nous 1,8 à 2,6 % d’ADN néandertalien et les Extrême-Orientaux portent de 1 à 5 % d’ADN dénisovien. L’avenir de l’espèce humaine serait-il dans le mélange ?
Lire “L’énigme Denisova” de Silvana Condemi et François Savatier chez Albin Michel.
Le 25/08/2024
« …
– Il paraît que Céleste 29 est enceinte.
– Je l’ai vu aussi sur Sicretbook, j’y crois pas !
– Comment a-t-elle fait ça ?
– Violette-Rose prétend qu’elle a eu un rapport sexuel avec un homme !
– Avec un homme ? Comment est-ce possible mais c’est dégoûtant, nous ne sommes pas des animaux tout de même.
– Il faut croire que certaines ne le savent pas. Un accouplement, comme au zoo, incroyable ! J’en ai vu un une fois, malgré la censure, les écrans n’avaient pas occulté la scène je ne sais pourquoi. Entre des chevaux, tu ne peux pas imaginer. Et ils font ça en toute innocence. Pense un peu, avec tous les vices humains ce que ça peut être ! J’en ai pas dormi de plusieurs nuits. Les rapports virtuels c’est plus hygiénique… »
À dix ans, j’avais lu tous les livres de science-fiction de la bibliothèque de mon quartier. Je reviens à ma première passion avec ce roman d’anticipation.
La France est sous l’emprise d’un gouvernement totalitaire religieux, imposant par la haine un strict apartheid hommes-femmes. Les relations sexuelles sont virtuelles et les bébés se fabriquent en usine.
À bout de souffle, le système s’effondre dans une révolution culturelle, doublée d’une guerre civile entre le pouvoir central et les régions. Un scientifique candide et une femme mystérieuse s’aiment et se détruisent, dans le chaos des conflits et de la civilisation technologique qui se délite. Reste l’espoir d’une vie où l’homme et la femme se retrouveront en couple et feront des enfants naturellement.
Livre en vente dans toutes les librairies, sur le site de l'éditeur CHAPITRE.COM et en ligne.
Le 26/07/2024
Snob
Encore une espèce en voie de disparition. Qui peut-on encore qualifier de snob ? Très en vogue dans les années glorieuses (les trente) le snob a muté comme un virus. On le remplacerait aujourd’hui par le bobo (bourgeois bohème) mais ce n’est pas du tout la même chose.
Le snob est un individu qui méprise ses concitoyens. Esclave de la mode, il se vêt plus chic qu’eux mais sans originalité, il parle avec affectation mais sans culture particulière. Il se nomme Jean-Philippe et elle répond au doux nom de Marie-Chantal (alors que leurs vrais prénoms sont Albert et Marguerite). Le snob n’est pas riche mais veut le paraître. Il ne lui viendrait pas à l’idée de prendre le travail d’un ouvrier pour gagner de l’argent. Le snob maladroit ou stupide, risée des snobs authentiques, est traité de snobinard.
L’appellation “snob” vient des registres d’inscription des universités britanniques ou en face du nom était inscrit le titre de noblesse ou en absence de celui-ci sine nobilitate, sans noblesse, en abrégé snob. Dans ces prestigieuses universités Cambridge, Eton et autres, les snobs étaient bien obligés pour paraître à la hauteur de leurs condisciples, d’en rajouter en tenue et distinction, au risque de trop en faire.
Le snob n’a pas disparu à cause du changement climatique, il a évolué vers la simplicité apparente. Pourquoi ? Mark Zuckerberg (Facebook) s’habille pareil tous les jours : t-shirt, jeans délavés, baskets. Pour ne pas se casser la tête à choisir une tenue dit-il. S’il y a du soleil, il coiffe une casquette tout à fait banale à 400 euros (je ne parle pas du prix des godasses). Jensen Huang (moins connu que le précédent mais patron de Nvidia pesant 2 600 milliards de dollars) ne quitte son blouson de cuir noir que pour se mettre au lit. Faire simple comme le commun, seuls les happy few savent la préciosité de la vêture. Le snob était égoïste, le bobo est altruiste de parade.
Faire simple, envolée la cravate, exit le gilet, vive la doudoune ! Le 16 juin 2024 on a pu voir Gérald Darmanin, col ouvert sur son banc à l’assemblée. Il s’explique : « Ce bout de tissu est devenu, pour beaucoup de Français, le symbole d’une élite à laquelle ils ne s’identifient plus au point, parfois, de la haïr.» Il garde la chemise blanche immaculée, devenue la marque de l’intello ou d’une lessive particulièrement efficace.
On voit des hommes plus puissants que des chefs d’état, paraître aux yeux du monde à la télé en jean et polo, ou en sweat à capuche pour les sorties incognito. Le riche, le puissant veut faire peuple. À porter de la vraie fourrure on risque de se faire agresser dans la rue. Le snob affichait son mépris, aujourd’hui ce ne serait plus toléré. L’ensauvagement général ne supporte pas l’offense du riche au pauvre, pas plus qu’une élégance ou une beauté trop éclatante. Si vous êtes trop belle mettez-vous un anneau dans le nez, autrefois symbole de soumission ou d’esclavage (l’épingle à nourrice des punks est passée de mode).
Les bobos auraient trouvé la solution, montrer qu’on est riche sans ostentation, vertueusement. Rouler dans une voiture de deux tonnes cinq mais hybride (qu’on prétend laisser au garage pour préférer le vélo électrique), se nourrir de produits hors de prix mais vertueux, bio, voire végan, achetées au marché ou directement chez le paysan (locavores), porter des vêtements informes ou déchirés intentionnellement, ne plus prendre l’avion si on peut prendre le train (bof !), ne pas partir au-delà des antipodes pour les vacances, etc. L’ancêtre du bobo est le zazou des années quarante qui s’inspirait des snobs anglais.
Le snob est de droite, le bobo de gauche. Le problème aujourd’hui c’est qu’on ne sait plus distinguer la droite de la gauche. Ça va devenir dangereux sur les routes ! Ça l’est déjà en politique.
Le 04/07/2024
Encore une fois
Dans le flot de paroles suscité par la campagne électorale des législatives anticipées, apparait un tic de langage chez les journalistes et les hommes politiques. Ils usent et abusent de la formule : « encore une fois ». Ils répètent une nouvelle fois quelque chose qu’ils viennent de dire. Ils récitent les éléments de langage dont ils n’ont pas le droit de sortir.
On sait que pour enseigner efficacement il faut répéter mainte et mainte fois la même chose, pour que ça rentre bien dans le crâne des élèves mais ici à la télé, à la radio, est-ce bien nécessaire ? Les orateurs plus ou moins talentueux devraient au moins respecter ceux qui les écoutent. Une fois clairement énoncé une idée, il faut la situer dans le roman national, s’élever au-dessus des lieux communs, en tirer les conséquences, séduire l’auditeur, bref il faut plaire, intéresser et non pas ennuyer, voire exaspérer.
Pourquoi enfoncer le clou encore une fois ? On pourrait croire que le parleur (beau ou pas) n’a pas assez d’idées pour combler son temps de parole et se trouve contraint de répéter ce qu’il a dit encore une fois. Mais si c’est le journaliste qui pose la même question pour la énième fois, on peut en effet s’attendre à la même réponse, qui souvent n’en est pas une. Comme disait Georges Marchais, communiste à l’ancienne : « Vous venez avec vos questions, je viens avec mes réponses ».
Finies les envolées lyriques, les citations littéraires, les références historiques. C’est tout juste si nous avons le droit à quelques saillies ou petites phrases, mûrement improvisées, qui feront encore une fois les titres des médias. Les sujets gravissimes comme les guerres, les famines, l’armement nucléaire, la montée des régimes illibéraux … (« J’en passe et des meilleurs » Hernani de Victor Hugo) ne provoquent encore une fois que de brèves allusions. Le débat n’est pas là. Il n’est pas sensé intéresser les Français (des veaux selon De Gaulle) qui pensent d’abord pouvoir d’achat.
Alors encore une fois on crie, on s’invective même si on est, en fin de compte, du même avis. Ou que l’on sait qu’il est vain de débattre, puisque finalement, les élus n’auront pas le pouvoir de changer en mieux les choses importantes. Tout au plus, nous espérons qu’ils ne vont pas faire empirer la situation.
Jaurès reviens, ils sont devenus fous !
Le 29/05/2024
Une fleur
Promenade acrobatique au bois de Keroual dévasté par la tempête Ciarán. Des arbres brisés, arrachés, barrent les sentiers qui n’ont pas encore été dégagés. Nous passons dessous en courbant l’échine ou dessus en levant la jambe. Ce n'est plus de notre âge où la rigidité a pris le pas sur l’agilité.
À l’issue d’un chemin encombré nous rencontrons un jeune couple accompagné d’une petite fille d’environ quatre ans, jolie brunette aux cheveux courts. Nous les avertissons que la progression est difficile et que la gamine aura peut-être du mal à passer. La conversation s’engage. La petite est très dégourdie, ça ira… C’est curieux comme on peut sympathiser avec des gens que l’on ne connait pas (peut-être justement pour ça). Ils sont jeunes, beaux et ne professent pas d’idées à la mode (pas devant nous en tout cas, respectueux sans doute de notre décalage idéologique quasi séculaire).
La petite fille cependant s’est un peu éloignée. Elle revient avec une fleur minuscule à la main et l’offre sans dire un mot à ma femme. Stupéfaite elle accepte le présent. Se penchant sur l’enfant :
– Merci, tu es gentille, je vais la garder précieusement. Comment tu t’appelles ?
Elle bredouille quelque chose qu’on ne comprend pas bien. Sa mère précise :
– Juliette.
– C’est joli comme nom.
Nous nous séparons un peu émus. Pourquoi cette petite fille a-t-elle offert une fleur à une dame qu’elle ne connait pas ? On ne sait, ce qui est sûr c’est que son geste était plein d’empathie, désintéressé. Qui sait si à son âge on lui a déjà enseigné ou qu’elle a compris toute seule, qu’une mamie doit être célébrée.
Nous continuons notre promenade. Des cris et des aboiements attirent notre attention. Un jeune homme accompagné de deux femmes élégantes excite un chien. Une espèce de bulldog (une race de chiens dont le museau a été raccourci par des sélections impitoyables ce qui leur permet à peine de respirer). L’homme hurle sur le chien qui ne comprend pas ce qu’on lui veut. Désemparée, la bête fait n’importe quoi et aboie pour montrer qu’elle n’est qu’un chien. Ce qui fait rire les deux femmes devant son désarroi et se rengorger le tyran, qui le tourmente de plus belle à l’aide d’un bâton.
Nous avions cru un instant que le monde était beau comme celui d’une petite fille. Il n’en est rien bien sûr. La stupidité, la méchanceté règnent, quand ce n’est pas la cruauté. Dans le bois mutilé, nous sommes obligés de penser aux guerres…