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Clémenceau

Louise michel 2

Les 150 ans de la Commune de Paris

Le 08/03/2021

Le 18 mars 1871, la révolution qui devait conduire à la Commune de Paris débute par l’échec de l’armée à récupérer les canons de la garde nationale. Les soldats mettent la crosse en l’air. C’est Louise Michel, la passionaria de la Commune qui raconte.

Tout le monde savait que les canons, soi-disant dérobés à l’Etat, appartenaient à la garde nationale et que les rendre eût été aider à une restauration. M. Thiers était pris à son propre piège, les mensonges étaient trop évidents, les menaces trop claires. La provocation directe fut donc tentée ; mais le coup de main essayé place des Vosges avait donné l’éveil.

L’invasion des faubourgs par l’armée fut faite dans la nuit du 17 au 18 mars ; mais malgré quelques coups de fusil des gendarmes et des gardes de Paris, ils fraternisèrent avec la garde nationale. Sur la butte, était un poste du 61e, veillant au n° 6 de la rue des Rosiers, [actuelle rue du chevalier de la Barre] j’y étais allée de la part de Dardelle pour une communication et j’étais restée [… Un coup de feu retentit], le factionnaire Turpin tombe atteint d’une balle. Le poste est surpris sans que le coup de canon à blanc qui devait être tiré en cas d’attaque ait donné l’éveil, mais on sentait bien que la journée ne finissait pas là.

La cantinière et moi nous avions pansé Turpin en déchirant notre linge sur nous, alors arrive Clemenceau qui ne sachant pas le blessé déjà pansé demande du linge. Sur ma parole et sur la sienne de revenir, je descends la butte, ma carabine sous mon manteau, en criant : Trahison ! Une colonne se formait, tout le comité de vigilance était là : Ferré, le vieux Moreau, Avronsart, Lemoussu, Burlot, Scheiner, Bourdeille. Montmartre s’éveillait, le rappel battait, je revenais en effet, mais avec les autres à l’assaut des buttes.

Dans l’aube qui se levait, on entendait le tocsin ; nous montions au pas de charge, sachant qu’au sommet il y avait une armée rangée en bataille. Nous pensions mourir pour la liberté. On était comme soulevés de terre. Nous morts, Paris se fût levé. Les foules à certaines heures sont l’avant-garde de l’océan humain. La butte était enveloppée d’une lumière blanche, une aube splendide de délivrance. Tout à coup je vis ma mère près de moi et je sentis une épouvantable angoisse ; inquiète, elle était venue, toutes les femmes étaient là montées en même temps que nous, je ne sais comment.

Ce n’était pas la mort qui nous attendait sur les buttes où déjà pourtant l’armée attelait les canons, pour les joindre à ceux des Batignolles enlevés pendant la nuit, mais la surprise d’une victoire populaire. Entre nous et l’armée, les femmes se jettent sur les canons, les mitrailleuses ; les soldats restent immobiles. Tandis que le général Lecomte commande feu sur la foule, un sous-officier sortant des rangs se place devant sa compagnie et plus haut que Lecomte crie : Crosse en l’air ! Les soldats obéissent. C’était le sergent Verdaguerre qui fut pour ce fait surtout, fusillé par Versailles quelques mois plus tard. La Révolution était faite.

Lecomte arrêté au moment où pour la troisième fois il commandait feu, fut conduit rue des Rosiers où vint le rejoindre Clément Thomas, reconnu tandis qu’en vêtements civils il étudiait les barricades de Montmartre. Suivant les lois de la guerre ils devaient périr. Au Château-Rouge, quartier général de Montmartre, le général Lecomte signa l’évacuation des buttes. Conduits du Château-Rouge à la rue des Rosiers, Clément Thomas et Lecomte eurent surtout pour adversaires leurs propres soldats. L’entassement silencieux des tortures que permet la discipline militaire amoncelle aussi d’implacables ressentiments. Les révolutionnaires de Montmartre eussent peut-être sauvé les généraux de la mort qu’ils méritaient si bien, malgré la condamnation déjà vieille de Clément Thomas par les échappés de juin [1848] et le capitaine garibaldien Herpin-Lacroix était en train de risquer sa vie pour les défendre, quoique la complicité de ces deux hommes se dégageât visible : les colères montent, un coup part, les fusils partent d’eux-mêmes.

Clément Thomas et Lecomte furent fusillés vers quatre heures rue des Rosiers. Clément Thomas mourut bien. Rue Houdon, un officier ayant blessé un de ses soldats qui refusait de tirer sur la foule fut lui-même visé et atteint. Les gendarmes cachés derrière les baraquements des boulevards extérieurs n’y purent tenir et [le général] Vinoy s’enfuit de la place Pigalle laissant, disait-on, son chapeau.

La victoire était complète ; elle eût été durable, si dès le lendemain, en masse, on fût parti pour Versailles où le gouvernement s’était enfui. Beaucoup d’entre nous fussent tombés sur le chemin, mais la réaction eût été étouffée dans son repaire. La légalité, le suffrage universel, tous les scrupules de ce genre qui perdent les Révolutions, entrèrent en ligne comme de coutume. Le soir du 18 mars, les officiers qui avaient été faits prisonniers avec Lecomte et Clément Thomas furent mis en liberté par Jaclard et Ferré. On ne voulait ni faiblesses ni cruautés inutiles.

Quelques jours après mourut Turpin, heureux, disait-il, d’avoir vu la Révolution ; il recommanda à Clemenceau sa femme qu’il laissait sans ressources. Une multitude houleuse accompagna Turpin au cimetière.

— A Versailles ! criait Théophile Ferré monté sur le char funèbre.

— A Versailles ! répétait la foule.

Il semblait que déjà on fût sur le chemin, l’idée ne venait pas à Montmartre qu’on pût attendre. Ce fut Versailles qui vint, les scrupules devaient aller jusqu’à l’attendre.