philosophie
Les deux Simone
Le 10/06/2023
Simone Veil et Simone Weil
Quand on parle de Simone Veil, on pense à la ministre qui a porté la loi dépénalisant l’IVG, à la première présidente du Parlement européen, à l’académicienne, à la femme entrée au Panthéon à peine un an après sa mort (avec son mari). Cependant une autre Simone (1909-1943), dont le nom se prononce de la même façon, est parfois évoquée par des journalistes qui se piquent de culture philosophique : Simone Weil. Elle est du genre inconnue célèbre.
Les deux Simone homophones n’ont rien en commun si ce n’est sans doute une intelligence supérieure, un courage et une volonté sans faille. Elles sont juives toutes deux, nées dans des familles peu religieuses. Simone V. (née Jacob) est forte et survit à sa déportation à Auschwitz. Simone W. est fragile et s’épuise physiquement dans sa quête d’absolu. Elle meurt à 34 ans, rongée par les travaux et les privations qu’elle s’est imposés. Simone V. finit sa vie à 89 ans en 2017 entourée des siens (elle a perdu son mari quatre ans plus tôt).
Simone W. sort de l’École Normale Supérieure avec une agrégation de philosophie. Enseigner et écrire ne lui suffit pas. Elle croit que de participer à la souffrance des autres va contribuer à les soulager. Elle travaille en usine, à la chaîne chez Renault, dans les champs mais sa faible constitution ne lui permet jamais de persévérer. Elle veut aussi se battre et rejoint les républicains espagnols. La cruauté des deux camps lui est insupportable. Les massacres n’entrent pas dans le champ de sa philosophie. Elle gagne l’Angleterre pour s’engager dans la France libre. De Gaulle ne veut pas lui confier de mission en pays occupé, elle n’en aurait pas la force. Elle meurt d’une crise cardiaque à Londres en 1943. C’est une sainte chrétienne (car elle a rencontré Jésus).
Son œuvre philosophique faisait l’admiration d’Albert Camus zélateur de l’absurde. Son maître en philosophie, Allain disait : « Qu’est-ce qu’une idée à laquelle on ne pense pas ». Voilà de quoi alimenter les épreuves de philo du bac pour un siècle. La plupart des philosophes ou moralistes n’appliquent pas leurs théories sur eux-mêmes (La Fontaine, Jean-Jacques Rousseau, Sartre…) mais certains (Diogène, Socrate, Foucault…) prétendent suivre une discipline de vie en conformité avec leurs idées, démontrant par là même leur absurdité. Simone Weil est de cette étoffe dont on fait les martyrs.
La vie, la carrière et l’œuvre de Simone Veil est plus populaire. Elle apparaît comme une icône de la cause des femmes, réputation peut-être pas aussi justifiée que l’on croit en général. Animal politique de la droite progressiste, elle a su mener une carrière brillante auprès d’hommes, que le féminisme intégriste d’aujourd’hui n’aurait sans doute pas appréciés. Bourgeoise, belle, élégante, épouse aimante, mère et grand-mère affectueuse, elle a su vivre. À l’inverse de Simone Weil, torturée par ses théories fumeuses jusqu’à la mort. Simone (encore une) de Beauvoir disait : « Elle m’intriguait à cause de sa réputation d’intelligence et de son accoutrement bizarre… »
Profiter
Le 20/06/2021
Encore un verbe d’usage courant, non pas dévié de son sens premier, mais utilisé abusivement. « Voilà les vacances, je vais bien profiter de mes petits-enfants.»
Profiter : tirer un avantage matériel ou moral de… (Larousse 2011) Ou encore : tirer un gain ou de l’avantage de quelque chose // rapporter du profit // servir, être utile //faire des progrès // se dit de la nourriture dont le corps tire avantage… (Littré)
Profiteur, euse : personne qui cherche à tirer un profit ou un avantage abusif de toute chose, notamment du travail d’autrui (Larousse 2011). Ou celui ou celle qui tire profit de la peine ou du travail des autres, péjoratif (Littré).
De ces deux définitions, il s’en suit que n’est pas obligatoirement un profiteur, celui qui profite de quelque chose. Sauf si ce profit est abusif. Il ne serait donc pas immoral de profiter de ses petits-enfants. Cependant la formule est douteuse.
« Je vais en vacances à Cherbourg, pour bien profiter du soleil ! » Même si c’est difficile à Cherbourg, profiter du soleil n’est pas abusif. Le verbe profiter est donc idoine dans ce cas. Quand on dit : « Je vais profiter de ma belle-mère cet été » on ne pense pas au plaisir qu’on va tirer de son physique avantageux, de sa présence envahissante et de sa conversation acide, mais bien à lui soutirer des avantages ou de l’argent, en authentique profiteur.
Mais profiter des enfants, des amis, des circonstances, induit un biais. Qui profite ? Je profite, car l’amour, l’admiration, les attentions, les cadeaux, etc. sont pour moi. Est-il question que j’apporte quelque chose ? Non, tout est pour moi. Je peux donner en retour l’équivalent de ce que je reçois, mais ce n’est pas dit dans la formule : je profite.
Ne soyons pas pessimiste, nous ne sommes pas profiteurs pour autant. Dans le cours de l’histoire, les exemples d’altruisme sont constants et l’époque actuelle ne semble pas plus égoïste qu’une autre. Cependant notre niveau de richesse est inégalé, du moins si on considère les biens matériels et les moyens de jouissance dont nous disposons. Et plus de richesses pour les uns, c’est plus de misères pour les autres (par comparaison, il ne me suffit pas d’être heureux, encore faut-il que les autres ne le soient pas plus que nous). On ne désire que ce qu’on n’a pas.
Vous n’avez rien vous marchez, vous disposez d’une bicyclette vous pédalez, d’une voiture vous voyagez, d’un avion vous polluez… Plus on en a, plus on en veut. Ça ne fait de torts à personne (sauf à la planète comme disent les jeunes). Mais ce n’est peut-être pas le but de la vie, de jouir de tout ce que la civilisation nous offre, presque sans mesure (quand nous serons débarrassés du méchant virus).
Profitons moins, vivons la vraie vie. Pas celle de l’amour virtuel, des paroles vides ou des vidéos rigolotes sur les réseaux sociaux. Ni celle d’une piscine à Bali. Est-ce possible ? Non, je ne crois pas. Le progrès moral n’existe que dans les rêves des philosophes ou les mensonges des politiques. L’homme demeurera toujours un loup pour l’homme. J’en suis un moi-même… Hou ! Hou ! Hou !