La robe rouge
J’ai lu « La servante écarlate » de Margaret Atwood, au programme du bac cette année. Ça m’a remis en mémoire une autre dystopie (le contraire d’une utopie) bien plus ancienne : « Ravage » de René Barjavel. Curieusement, dans les sociétés décrites dans ces deux livres, certaines femmes sont tenues de porter une robe rouge.
Margaret Atwood publie son roman en 1985, elle y met en scène à peu près toutes les horreurs dont sont capables les sociétés totalitaires : les pendaisons en groupe, les enfants volés, l’interdiction de l’apprentissage de la lecture, la restriction du droit à la propriété, la captation des biens par la classe dirigeante et la transgression par celle-ci des règles qu’elle impose au vulgum pecus. Dieu cautionne l’oppression. Et la guerre reste indispensable.
Dans le roman de Margaret Atwood les femmes ne sont pas toutes des servantes en robe rouge destinées à la procréation, elles participent à tous les niveaux du pouvoir, mais à titre décoratif semble-t-il, comme la femme du « Commandant ». La servante écarlate n’est rien d’autre qu’une mère porteuse. Elle est fécondée par le mari, couchée entre les cuisses de l’épouse stérile et elle accouche entre ses jambes sur une « Chaise d’accouchement ». Déjà dans la Bible, après Sarah, Rachel (La Genèse 30 1-3) : « Rachel dit à Jacob : “Fais-moi avoir aussi des enfants ou je meurs ! […] Voici ma servante Bilha. Va vers elle et qu’elle enfante sur mes genoux, par elle j’aurai moi aussi des enfants”. »
Il faut se souvenir que Barjavel écrit « Ravage » en 1942 en pleine guerre mondiale. La quasi-totalité du roman décrit une suite de massacres, de destructions et d’incendies. Le héros, François, tue sans état d’âme à coups de hache, le veilleur qui s’est endormi, mettant ses compagnons en danger. C’est lui qui fonde la société d’après-guerre. Les hommes décimés sont quatre fois moins nombreux que les femmes. Il faut vite faire des enfants. À cent-vingt-neuf ans il remplace sa septième femme par une fillette de dix-huit ans qui quelques mois plus tard, revêt la robe rouge des femmes enceintes.
François règne sur la région Alpes-côte d’Azur. Il impose la polygamie. « Les plus mous [des hommes] durent acquérir du caractère pour faire régner la paix entre leurs femmes. » Le chef lui, honore une de ses épouses chaque jour, la préférée passe le dimanche, la plus moche « se rase la moustache le vendredi » (jour de pénitence ?). Il limite le droit de propriété en interdisant à un homme de posséder plus de terre qu’il n’en puisse faire le tour à pied en une journée (la plus longue de l’été quand même).Tous les livres sont brûlés (sauf les livres de poésie) et seuls les chefs de village sauront écrire. Le père choisit l’époux de sa fille pour créer « une race de maîtres ». Le machinisme honni est proscrit dans tous les domaines (Barjavel le considère comme la cause de tous les maux, un de des fils de François paiera de sa vie d’avoir construit une espèce d’automobile).
Margaret Atwood en 1985 dénonce le totalitarisme machiste qui persiste dans nos sociétés et qui risque toujours de s’imposer sous la pression des hommes, avec la complicité des religions. Barjavel préfère la paix de la dictature des mâles aux massacres de la guerre. Le patriarche règne avec l’aide de Dieu. Travail et famille, il ne manque plus que la patrie pour que le maréchal Pétain soit totalement satisfait. L’important c’est de faire des enfants. Il y a probablement quelque ironie sournoise dans « Ravage ». Barjavel n’aurait pas pu décrire un monde libertaire né de la guerre. Il aurait surement été censuré.
La robe rouge dans beaucoup de civilisations est la robe de mariée. Les symboles qui s’attachent au rouge sont bien trop nombreux, aussi je m’arrêterai là.