L’écriture
Mon grand-père disait : « L’écriture est la science des ânes. » Il n’écrivait pourtant pas si mal, si j’en juge par les lettres qu’il écrivait à ma grand-mère pendant la guerre de quatorze. Quant à moi, l’instituteur me cantonnait à la plume sergent major, raide comme une baïonnette, alors que les autres avaient le droit à une plume plus souple. Il prétendait que je n’étais pas prêt pour les pleins et les déliés, que j’écrivais trop mal. Je me vengeais en multipliant les pâtés et les ratures sur mes cahiers cornés. Nous étions encore loin des crayons à bille encore interdits au collège en 1953 quand j’y entrai.
Le besoin de communiquer par signes graphiques est sans doute apparu avec le langage : Un ours schématisé suivi d’une croix gravé sur l’entrée d’une grotte : « N’entre pas ici y a un ours… » Premiers idéogrammes (littéralement qui dessine des idées) ou parole écrite. Entre trois et quatre mille ans avant notre ère, les hommes ont commencé à normaliser l’écriture en Égypte et en Mésopotamie mais notre écriture (latine) est issue d’une longue évolution de l’écriture phénicienne.
Idéalement une lettre correspond à un son de la langue parlée mais nous n’en avons pas assez pour cela. À chaque fois que le nombre de lettres ne coïncide pas avec le nombre de sons on est obligé de multiplier les règles spéciales et les signes additionnels (accents, points, cédille, lettres muettes, associées, redoublées, etc.). Ces règles spéciales souffrent aussi d’exceptions qui engendrent de nouvelles règles, d’où une complication infernale nommée orthographe et les fautes qui s’en suivent.
En breton ancien toutes les lettres se prononçaient, maudits soient les universitaires qui ont inventé l’orthographe bretonne dont on n’a nul besoin. Certaines langues ont un alphabet sur mesure, le cyrillique par exemple, qui rend les fautes quasi impossible. Les chinois ont introduit l’alphabet phonétique pinyin qui permet l’écriture à ceux qui n’ont pas une connaissance suffisante des idéogrammes. Le nushu, système d’écriture syllabique réservée aux femmes dans la province de Jiangyong, permettait à celles-ci de communiquer à l’insu des hommes. La scolarisation des filles étant interdite, l’écriture nushu était enseignée par les grands-mères au sein des foyers chinois.
L’écriture est parfois belle. Elle peut refléter la personnalité (Marx écrivait avec ses griffes, son écriture était presque indéchiffrable) mais la graphologie est une science molle, sans démonstrations rigoureuses (le capitaine Dreyfus en a fait les frais). Chaque écriture peut être ornée, l’art de la calligraphie est de toutes les cultures. L’arabe y est particulièrement favorable (le Coran fut le premier livre jamais écrit en langue arabe d’après Muhammad Hamidullah). D’autres écritures rivalisent d’originalité et d’élégance, les tortillons du malayalam ou le surlignage de plusieurs écritures indiennes, le bengali par exemple, qui semblent écrites sous la ligne.
On peut dire que dans l’écriture c’est le fond qui compte et non la forme, il reste néanmoins que les plus beaux mots d’amour sont écrits à la main. Un clavier n’obtiendra pas le même effet, même en ajoutant des émoticônes ! Les petits billets ornés de cœurs, que les collégiens s’échangeaient sous la table, ont presque disparu. Si les téléphones sont interdits, ils reviendront peut-être.