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Le 18/03/2018
Marie la Cordelière
L'été prochain, les recherches vont reprendre pour retrouver l'épave de Marie la Cordelière, le navire d'Hervé de Portzmoguer disparu le 10 août 1512 dans le fameux combat de la Pointe Saint-Mathieu contre le Regent de l'amiral Howard.
Extrait de mon livre "Portzmoguer, un corsaire au service d'Anne de Bretagne" (éditions Yoran Embaner)
Le feu a pris sur l’avant, les voiles s’enflamment et propagent l’incendie dans la mâture du Regent. Je profite du moment de flottement que ça provoque, pour sauter sur le pavois et m’extraire de la masse des combattants, si compacte à présent qu’on ne peut plus manier le sabre, les marins se battent à la hache, au couteau. On patauge dans le sang. J’émerge à peine de la mêlée que je reçois comme un coup de masse sur la mâchoire. Je tombe à l’eau. J’enlève prestement ma brigantine pour ne pas couler. Parmi les blessés, les morts, les débris immondes, je m’accroche à un morceau de vergue. Je tâte ma joue, mon doigt passe au travers, mes dents sont en morceaux dans ma bouche. La Cordelière et le Regent s’éloignent lentement, emportés par le courant vers la pointe Saint-Mathieu, le grondement des flammes et le vacarme du combat faiblissent. Un éclair illumine soudain la mer, une explosion dantesque secoue l’air. Un instant, j’ai cru voir sur une intense lueur jaune, les membrures noires de la Cordelière voler en éclats. Des grappes d’hommes sont projetées en l’air. Dans l’avalanche de feu, d’eau, de bois enflammé, de fer qui retombe autour de moi, je distingue le Regent qui sombre. Le château émerge encore un peu puis, dans un bruit de digestion atroce, il disparaît dans les bouillonnements de la mer. Je suis sauf. Le silence soudain bourdonne dans mon crâne. Des voix appellent à l’aide, étrangement humaines après cette apocalypse. Il n’y a plus que des débris à la surface et quelques hommes éperdus, mutilés, sanglants, ou morts. Les Anglais ont mis des embarcations à l’eau et repêchent les rescapés, bientôt aidés par les pêcheurs de Bertheaume et du Conquet. Nous ne sommes que vingt survivants de Marie la Cordelière et soixante du Regent, pour près de deux mille victimes. Au soir, les Anglais ont quitté les lieux. Ils rentrent, trop éprouvés pour continuer à se battre. Chaque camp chantera victoire en rendant hommage à son adversaire, pour mieux faire valoir son propre héroïsme. Et moi, Jean de Coatmanac’h, sire de Touronce et de Poncelin, j’ai ces souvenirs atroces gravés sur mon visage en d’horribles cicatrices. Un autre survivant, Martin Le Nault du Conquet, le maître d’équipage de la Cordelière, peut lui aussi témoigner de ce que j’ai vu.
*
Les poètes et les historiographes n’ont plus qu’à se mettre à l’ouvrage pour la gloire de Portzmoguer et de la Bretagne. Ils feront pleurer la reine Anne, qui aimait tant son vaisseau, Marie la Cordelière et son vaillant capitaine. Ce 10 août 1512, Hervé de Portzmoguer dit Primauguet ne pouvant vaincre est mort en héros.
Le 10/03/2018
Le jargon de Macron
Est-ce volontairement, par mimétisme mou ou courtisanerie que les journalistes, les hommes politiques et ceux qui parlent en public en général, imitent le style du Président de la République française ? Quant à l’expression écrite utilisée par les épigones qui utilisent ses tournures et périphrases, malheur à eux quand on les relira dans cinq ans (ce qui est peu probable), ils passeront pour des bêtes qui ne savent pas écrire.
Quand il dit : « Les convictions qui sont les miennes », « L’élan qui est le vôtre », etc. il n’est pas judicieux de le copier. On dira seulement : mes convictions ou votre élan. Certes la version courte a moins de poids mais, est-il nécessaire dans le discours, de mettre autant de lourdeur ? « C’est cela que nous ferons » ou « c’est cela que j’attends de vous » manque de la concision et de l’élégance qui font plus, pour la compréhension et l’efficacité, que les tournures alambiquées qui sentent la sueur des communicants. Enfin les « celles et ceux », « toutes et tous », les « femmes et les hommes de ce pays », l’obligation qu’il se fait, de séparer les citoyennes des citoyens, ne va pas dans le sens de l’égalité des salaires ! Ce serait plutôt un encouragement pour l’écriture inclusive, condamnée comme un péril mortel par l’Académie française et que tous les lèche-cul s’empressent d’adopter. Le discours croquignolesque de la pyramide du Louvres est l’exemple de longueurs et de répétitions, digne des meilleurs orateurs soviétiques et, en même temps, il avait bien le droit de se faire plaisir, il avait gagné après tout.
Tous les Présidents ont aimé utiliser des mots rares, originaux ou incongrus qui resteront attachés à leur nom. De Gaulle avait la « chienlit » et le « quarteron de généraux ». Pompidou cite Paul Eluard à propos du suicide de Gabrielle Russier : « Comprenne qui voudra ! ». Giscard d’Estaing nous quitte avec son « Au revoir » pathétique et ridicule. Le « ni ni » de Mitterrand en 1988, ni de droite ni de gauche, fait florès aujourd’hui. « l’abracadabrantesque » sauve Chirac qui ne trouve pas d’autres arguments pour réfuter le financement occulte du RPR. Puis le « casse toi pauvre con » de Sarkozy qui se passe de commentaires, les « sans dents » de François Hollande et pour finir ceux qui « foutent le bordel » du « plus cultivé que la moyenne », à Egletons.
Ce n’est pas sûr que les « galimatias » et « poudre de perlimpinpin » s’imposeront à l’histoire de France. À la vacuité habituelle du discours politique on voit s’ajouter la vulgarité, il est vrai prise sur le vif par des journalistes de plus en plus importuns. L’outrance dans le discours fait rire, quand le Président singe un prof de lettres dans son discours de Francfort, la traduction instantanée a dû donner du fil à retordre aux interprètes allemands, avec les caveat, totipotent, irrédentisme et autres rhizome du terrorisme. Pour un peu on se sentirait atteint de fièvre obsidionale.
Enfin notre président, le plus cruel technocrate de la cinquième, utilise le langage de l’entreprise et des managers, comme si les Français (j’aurais dû dire les Françaises et les Français) étaient ses employés (c’est le contraire à mon avis). Il nous faut « faire notre propre introspection pour faire bouger les lignes » car « Le sentiment du progrès établit un horizon psychologique créant cette conviction intime que si on y travaille, la vie sera peut-être meilleure pour soi demain ». « Intervenir avec intelligence », « Le dialogue doit être exigeant », « la réorganisation responsable », nous devons « réinventer le projet »... On se croirait en salle de réunion, quand le patron secoue (remotive) ses troupes… ou prépare un plan de licenciement.
Décidément, la cinquième république nous dote de Présidents peu banals.
Le 11/02/2018
Du coup
Du coup ça m’énerve. Pas de souci, du coup n’a jamais fait de mal à personne. Maladie très contagieuse mais bénigne, l’emploi de du coup à tout propos n’expose à aucune souffrance particulière, pas d’éruption de boutons, pas de sécheresse buccale ou autre, pas d’ecchymoses visibles, juste un petit pincement au cœur quand votre interlocuteur répète insidieusement du coup, pour vous faire honte de votre inculture ou de votre langage populacier.
Donc du coup, évitez cette expression. Ce n’est pas difficile, les équivalents sont nombreux : donc, par conséquent, finalement, par suite, de ce fait, dans ces conditions, en fin de compte, etc. Exemple : au marché devant le marchand de légume.
– Vous n’avez plus de carottes ?
– Non Madame.
– Vos navets sont bons ?
– Tout frais déterrés ils sont.
– Du coup je vais prendre des artichauts…
On peut s’offusquer de remplacer les navets par des artichauts, ou que les navets soient déterrés ce qui fait un peu macabre, mais du coup en l’occurrence, aurait pu être remplacé (si vous portez un manteau de fourrure, un chapeau à plume élégant et des gants) par finalement ou toutefois.
Alors, du coup, si on veut employer quand même cette expression (pour être dans le coup comme on disait autrefois – T’es plus dans l’coup, papa, t’es plus dans l’coup…) quand faut-il l’utiliser ?
Au sens propre : « Frappé au visage, du coup il s’effondra ». Ce n’est pas très élégant mais c’est pertinent (à utiliser avec modération, je parle des coups au visage).
Au sens d’une cause agissant brusquement : « l’usine explosa, du coup la ville prit feu. » Du coup peut prendre le sens d’aussitôt.
Chaque époque a ses tics de langage qui énervent les vieux. Ceux-ci préfèrent leurs tics à eux. On disait pas de problème (ou pas de pébé ou encore, pas de pé), on dit maintenant pas de souci évolution freudienne qui transforme un problème à résoudre par le souci désinvolte de le contourner. Je ne parlerai pas des insultes nouvelles qui enrichissent chaque jour notre belle langue de termes parfois déguisés en verlan. J’ai la nostalgie du javanais de mon enfance, ou du louchébem (argot des bouchers parisiens) de tonton René. Les mots ont un goût dans la bouche, saveur de l’insulte ou du gros mot qui explose sur le palais, suavité du compliment, complexité de la phrase tournicotée, douceur des paroles d’amour, qui tournent dans la bouche comme une langue étrangère…
Je conclurai sagement par le Abusus non tollit usum, l’abus n’exclut pas l’usage, maxime de l’ancien droit. L’abus que l’on peut faire d’une chose ne doit pas forcer nécessairement de s’en abstenir (voir les pages roses).
Le poète disparu, Philippe Siou
Le 27/01/2018
Il y a 5 ans disparaissait Philippe Siou. Après une khâgne et une maîtrise de lettres à Brest, on le retrouve professeur de lettres dans le Nord. Les élèves (et les parents) aiment ce prof atypique et brillant qui joue volontier de la guitare. Il s'est lancé dans la musique à 18 ans et, de groupe en groupe, compose et écrit des chansons de plus en plus insolites, insolentes et rebelles. Choquantes parfois. Il exorcise aussi son mal-être en dessinant les personnages qui le hantent.
On pense à toi Philippe, ta souffrance était et restera la nôtre.
Exemple de chanson, qu'il disait chansonnette, " Les fêtes bourgeoises " illustrée de deux dessins de sa main. On peut trouver la quasi totalité de ses textes dans le livre "La pipe à l'envers" chez Edilivre.
Les célestes histoires de femmes, les bonnes feuilles
Le 11/01/2018
Édith
Dans un coin de la salle de danse, une fille obèse, vêtue d’un pull jaune horrible, roule des yeux de grenouille. Elle hésite entre les pleurs et le rire. Elle choisit de pleurer pour ne pas montrer ses dents gâtées. Je détourne mon regard, pris de dégoût ou de pitié. Sur l’estrade les musiciens se donnent à fond, le batteur ivre laisse libre cours à son instinct de massacreur. Une vapeur âcre monte de la foule en sueur. Les glaces aux murs, dans leurs cadres patinés de crasse, sont couvertes de buée où l’on a tracé du bout des doigts, des schémas évocateurs. Un homme embrasse une femme goulûment, elle se laisse faire, lascive, provocante. La boule à facettes de miroirs tourne au plafond. Elle fait courir des petits nuages blancs et rouge sur les faces blafardes ou cramoisies. La nausée guette. La musique écrase ou déchire une mer de danseurs qui se moire, comme un champ de blé sous les coups de vent. Un bloc humain noyé dans un océan de rythme, tangue et roule sans cesse sous un ouragan de bruit. Les couples gigotent, comme pour se débarrasser de leurs voisins agglutinés, retenus ensemble par la force lumineuse et enveloppante de la boule du plafond. En un seul corps agité de spasmes, haletant, la foule grouille joyeusement, comme des vers sur un cadavre. […]
Elle est au bar. Assise de biais sur un haut tabouret entre les hommes de sa cour, qui ne semblent pas pour l’instant beaucoup s’occuper d’elle. Ils boivent, c’est sérieux. D’un regard, appuyé d’un sourire, elle m’invite à m’approcher. Je me glisse près d’elle, le courtisan le plus proche s’est écarté avec indifférence, comme s’il cédait sa place à un enfant. Édith n’a pas changé. La silhouette est impeccable, le mollet tendu et le genou pointu, la cuisse lisse, la taille fine, le buste petit et haut, le cou hiératique. Dans son visage un peu durci, s’affirme un nez légèrement aquilin. Élégante et simple, elle porte un ensemble presque blanc (chaussures assorties) qui met en valeur la matité de son teint. J’entends de temps en temps parler d’elle et de son équipe. Les mauvaises langues lui font une réputation de fille légère…
Lire la suite dans le livre "Les célestes, histoires de femmes" en vente sur Amazon ou sur le site de l'éditeur : Les éditions du Désir.
Le 04/12/2017
Voici ce qu'écrivait le Chevalier de Fréminville en 1832 sur les habitants du Pays Pagan :
Il reste en Bretagne, et particulièrement dans le nord du Léon, entre Plouguerneau et Plounéour-Trez, des hommes qui ont conservé la rudesse de leurs ancêtres celtes. L’antique férocité de mœurs des habitants de ce territoire qu’on nomme le Pays Pagan (c’est-à-dire païen) n'est point encore adoucie, elle est empreinte même dans leurs traits. L'habitant de ces côtes redoutables est de haute stature, basané, sec et nerveux ; il marche jambes et pieds nus, un bâton noueux à la main ; ses traits farouches et menaçants semblent défier l'étranger qui le rencontre. Sa figure hâve, son front sillonné de rides que la fatigue et l'inclémence du climat y ont tracés avant le temps, est ombragé d'une forêt de cheveux longs, flottant en désordre et que ne contient pas le petit bonnet bleu et plat placé au sommet de sa tête. Ses yeux creux brillent d'un feu sombre, ils se fixent avec avidité sur la voile qui paraît à l'horizon. Si les signes d'une tempête prochaine menacent de jeter ce vaisseau sur les écueils qui hérissent ces rivages, la joie se peint sur le visage du cruel paysan de Plounéour, elle éclaircit un instant sa physionomie sauvage, comme un éclair sinistre brille au milieu de ces nuages noirs dont les flancs recèlent la foudre. Il réunit ses parents, appelle ses amis, ses voisins, tous courent sur la grève en poussant des hurlements barbares ; armés de bâtons, de crocs et de fourches, ils attendent les débris du naufrage. Si les infortunés navigateurs, dont le navire vient de se fracasser, parviennent en luttant contre la mort à atteindre ce rivage fatal, ils sont à l'instant même dépouillés et massacrés inhumainement par ces Celtes féroces et indomptables. (Antiquités de Bretagne, Finistère. Brest 1832)
Le 16/11/2017
Le dernier recueil de nouvelles de La Gidouille vient de paraître. Pour son cinquième " Variations " La Gidouille a largement diffusé une idée directrice et large : " Vous qui passez sans me voir "
Les auteurs, connus et aguerris ou amateurs et prometteurs, sont issus de toute la France, du nord au sud, de l'est à l'ouest. On s'amuse, on rit, on pleure, on frissonne, on tremble, en un mot, cette lecture de textes courts est aussi variée dans la forme (dessins, prose, poésie) que dans le ton. Un excellent cru. (Extrait de la quatrième de couverture)
Ma contribution dans ce livre, est une nouvelle intitulée " M. Legrand ", qui raconte l'histoire de ce garagiste qui aimait trop les fraises des bois. Etonnant non ?
Le 23/10/2017
Un coup de groin !
La multiplication des dénonciations d’agressions sexuelles sur les femmes, à la suite du hashtag Balancetonporc, me fait pousser un coup de groin indigné. C’est vrai que dans ma porcherie, où nous sommes séparés des truies, je n’ai pas la possibilité d’exprimer ma libido comme je voudrais mais je pense aux privilégiés, élevés en plein champ et à toutes les cochonneries qui leurs sont permises.
Cochons mes frères, il est parmi vous des bêtes qui abusent de leur pouvoir, ils sont si forts, si populaires, si séduisants (même si leur aspect est parfois repoussant) aux yeux de certaines femelles, qu’ils se croient tout permis. Verras mes amis, limitez-vous aux femelles consentantes, elles sont assez nombreuses à vouloir entrer dans votre bauge. Laissez les autres tranquilles. Sinon, ils seront punis ceux qui abusent de la loi du plus porc.
Bon, le verra dominant est incorrigible, les litres de sperme dont il dispose l’étouffent, il faut qu’il se soulage. Mais les autres, les petits cochons ? En liberté le porc n’est pas méchant. Il peut lécher sa truie sans la déranger, en douceur. Elle est flattée, ravie même, s’il fait ce qu’elle désire sans qu’elle ait besoin de le lui demander. Et si elle n’a pas envie, un petit coup de dent suffira à écarter l’importun, qui ira voir ailleurs.
Mais dans ce monde tout est compliqué. Nous sommes si nombreux, si pressés les uns contre les autres que tout incident prend des proportions gigantesques. L’odeur d’un porc n’est pas désagréable mais les fragrances d’une porcherie sont insupportables. Et encore, nous n’avons pas l’odeur sur les ordinateurs (les élevages sont maintenant connectés). Nous qui phosphorons trop (à cause des aliments industriels trop riches en phosphore), n’ajoutons pas l’angoisse des autres à notre pauvre vie pour en faire un purgatoire anticipé. Il est des destins autrement cruels, dont nous ne nous soucions guère.
Les caresses légitimes, au bon moment, peuvent faire oublier toutes les agressions. Les cicatrices restent mais ne font pas forcément souffrir ad vitam æternam (il y a des cochons cultivés aussi).
Et pour les incorrigibles, je suis pour rétablir la peine de porc !