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Blog

Il meurt dans les yeux myosotis d'une infirmière à  Noël.

Myosotis

Le 23/12/2021

Après-demain c’est Noël. J’ai embouqué la route signalée par des panneaux bleus. Trop occupé à surveiller les voies à droite et à gauche, je n’ai pas eu le temps de déchiffrer les destinations indiquées. Peu importe. Où je vais ce n’est pas Rome mais toutes les routes y mènent. Deux voies, tout le monde roule dans le même sens. Je suis sur l’autoroute. Le ciel est d’un noir absolu. De temps en temps apparaît un panneau lumineux d’informations. « Joyeuses fêtes ! » c’est écrit. Rien d’autre. Sauf l’heure, je crois, car bizarrement, les chiffres indiquent n’importe quoi : 84 : 28 ; 16 : 92… Ce doit être une panne d’horloge ou peut-être que l’heure n’existe plus. À la longue ça me fait rire.

C’est curieux, je ne souffre plus, tout à l’heure j’avais mal. Maintenant plus rien. Dans la ville illuminée de gaîté clignotante (comme une joie alternative), des douleurs me traversaient au rythme des lampadaires orange. Couleur cadavérique. Pourquoi cadavérique ? On n’a jamais vu de cadavre orange mais cette couleur qui uniformise tout, fait penser à la mort. Tous égaux, même pâleur, même destin. Même décor ou presque. On met bien des fleurs aux défunts, pourquoi pas des guirlandes dorées. Stupidement, je me vois dans mon cercueil, orné de leds clignotantes de toutes les couleurs, glissant comme un navire sur sa cale de lancement, vers la porte du four crématoire, ouverte sur un souvenir. 

Les bandes blanches défilent à bâbord et tribord, hypnotiques. Je conduis un bateau ivre lancé dans le néant de la nuit. Sillage inversé : écume blanche devant, noire derrière. J’ai l’impression de reculer. La tête me tourne, ivresse molle, ou plutôt ivresse morne, indifférente, sans joie, sans excitation. Médicamenteuse. Juste un voile palliatif d’inconscience sur la réalité. Envie légère de vomir. De dormir. Il ne faut pas. Mais je sais que ce n’est pas à moi de décider. Une aire d’autoroute approche. Une aire de repos bien venue. Je m’arrête.

Le parking est presque désert. Je me gare près d’une autre voiture par solidarité (je sais ce que c’est que d’être seul). À l’intérieur un homme est mort, bouche ouverte, la tête renversée en arrière sur l’appui-tête. Il n’est pas si mort que ça, il bouge encore un peu. Endormi, mort, c’est pareil. Je me dirige vers la station-service illuminée. Une étoile au-dessus de la porte indique l’entrée de la crèche, havre dernier peut-être, du voyageur fatigué.    La douleur revient. Je me traîne. Une petite fille l’air sérieux, en robe de tulle rose, saute à cloche-pied dans une brume lumineuse entre les pompes de carburant. Je grimace un sourire mais la gamine diabolique me tourne le dos. Je dis diabolique parce qu’elle ne me semble pas humaine. Ou alors elle n’est pas réelle. Je crois être dans un plan séquence d’Antonioni mais je sors du champ.  

J’entre dans le commerce. Quelques guirlandes anémiques ornent les présentoirs de sandwiches et de bonbons. Je n’ai besoin de rien sinon de repos. Je me hisse sur un siège minuscule mais très haut, devant une petite table ronde maculée de ronds de café. La position est douloureuse, je ne resterai pas longtemps. Une jolie jeune fille tient la caisse. Elle a coiffé une toque rouge de père Noël, qu’elle porte avec arrogance comme un bonnet phrygien, Marianne de station-service. Pourquoi les femmes sont-elles si belles ? Cette seule question me bouleverse, agite mon cerveau reptilien honteusement sexué. La beauté, comme une lame de sabre japonais, m’angoisse. Le katana blesse et tue. La lame froide et brillante, s’élève, lance un éclair au soleil puis s’abat, le sang gicle et le condamné perd la tête. Ainsi autrefois, j’ai perdu la tête pour toi et ça s’est terminé par mon exécution.

Cette fois, l’exécution n’est pas venue d’une femme, au contraire. Là-bas elles sont toutes jeunes et gentilles, à vous faire regretter de mourir. Surtout Sophie, son nom est marqué sur une petite étiquette dorée qu’elle porte épinglée sur son sein. Je fais semblant d’être mort quand elle pousse la porte de ma chambre. Elle se penche sur moi. J’attends de sentir son souffle sur ma joue, alors j’ouvre les yeux brusquement et c’est l’éblouissement. À chaque fois. Ses yeux myosotis soulignés de khôl, plantés dans les miens, pourraient me tuer de bonheur. L’émotion est si forte que je réprime un sanglot et que la machine se met à couiner. Sur l’écran, la chenille de la courbe verte passe au rouge. D’un sourire, elle remet la chenille à sa place. Quel dommage de ne pas mourir comme ça, le cœur déchiré par un regard myosotis. Une autre, Dorothée je crois, ne porte sous sa blouse que d’explosifs sous-vêtements blancs. La blouse, sans doute taillée pour des corps plus banals, baille légèrement à chaque bouton quand elle se bat avec les tuyaux, les câbles et les aiguilles. Et sa peau mate m’est offerte en visions homéopathiques.

Alors surgissent à mes yeux, les falaises violentes brûlées par le soleil de Provence, quand tu bronzais nue, couchée sur les posidonies sèches semblables à des copeaux de bois, tandis que les vagues qui s’écroulaient en grondant sur les galets, t’arrosaient de brisures de diamant brut. Tu riais et des frissons courraient sur ta peau. Délices électriques pour toi, et pour moi.

Des fantômes passent. Des chuchotements, des bruits lointains de chasse d’eau se mêlent au bruissement de mes oreilles. Marianne Noël, princesse de la caisse, baille derrière sa main. La nuit s’éternise. Je m’enfuis avant que la laideur me gagne. La douleur est si laide. Sur l’aire de l’autoroute des camions ronronnent, faussement endormis, rideaux tirés derrière des guirlandes électriques. Vont-ils rentrer chez eux demain pour la fête les routiers ? Des silhouettes se glissent furtivement entre les mastodontes. Dans sa voiture, le faux mort est maintenant affalé sur son volant. Quel travail, quelle jouissance, quelle souffrance l’ont fatigué à ce point ? J’envie son sommeil. Le mien est pour bientôt.

Je crois avoir repris la route car des lumières blanches passent au-dessus de ma tête, de plus en plus vite. La voiture hoquette ou mes tympans tapent. J’aurais coulé une bielle ? (Ça ne se dit plus je crois.) Non, c’est mon cœur qui cogne mais je n’ai pas mal. J’écarquille les yeux en abordant une descente vertigineuse. Un splendide panorama sort de la nuit. Paradisiaque. Mon cadeau de Noël ! Tout est brillant, lumineux. Les arbres solitaires, les bois bien ordonnés, les champs cultivés, verts, jaunes, bruns, les ondulations des coteaux ponctués de petites maisons blanches, une rivière de mercure qui serpente avant de se jeter à la mer…

Et le ciel, couleur de myosotis ! Je vois de plus en plus mal. J’ai comme de l’eau dans les yeux. J’ai murmuré : « Alice, forget me not ! » Fondu au noir.

Pindy, anarchiste, incendiaire de l'hôtel de ville de Paris

Jean-Louis Pindy, anarchiste, archivicide

Le 09/12/2021

Ce livre retrace presque au jour le jour, les convulsions de la fin du dix-neuvième siècle, vues par un ouvrier menuisier brestois : la révolution industrielle, la guerre de 70, la chute de l'Empire, le siège de Paris, la Commune, la première Internationale… Et l’émergence des mouvements ouvriers syndicalistes, anarchistes et révolutionnaires.

Jean-Louis Pindy (né à Brest en 1840) était l’archétype de l’ouvrier fier de sa condition, fier de son travail, avide de connaissances et de progrès social. Sa personnalité opiniâtre, sans concession et courageuse, l’a conduit à s’illustrer dans la Commune de Paris et à l’Association Internationale des Travailleurs (A.I.T.). La Commune s’est achevée par la Semaine sanglante et l’incendie de Paris. Pindy, colonel de la garde nationale, met le feu à l’hôtel de ville, anéantissant ainsi des siècles de précieuses archives.

La sagesse venant avec l’âge, celui qu’on surnommait l’Anarchiste, a compris que la liberté était avant tout celle de travailler, de penser, de s’exprimer et de militer. Réfugié en Suisse, il y est resté ouvrier, expert en métaux précieux, jusqu’à sa mort en 1917.

L’Anarchie telle que la voyait Pindy était l’organisation de la société en partant du bas, des producteurs, et non en ruisselant du haut d’un gouvernement central. Un monde de mutualisme fondé sur des coopératives, des communes et des fédérations, à l’opposé de la dictature du prolétariat centralisatrice ou de la loi du profit maximum, hégémonique aujourd’hui.

Le Conseil de l'Europe sert-il à quelque chose ?

Le Conseil de l'Europe

Le 09/11/2021

La honte soit sur moi, j’ignorais jusqu’à l’existence du Conseil de l’Europe. Si j’en entendais parler ou lisais quelque part cette mention, je pensais Conseil européen (chefs de gouvernement de l’UE) ou Conseil de l’UE (conseil des ministres de l’UE) ou pire encore, Commission européenne (commissaires de l’exécutif de l’UE). Mais le Conseil de l’Europe existe bel et bien ! Nous venons d’en avoir la preuve avec cette campagne pour La liberté dans le hijab (Beauty is in diversity as freedom is in hijab). Pour une institution qui se donne pour mission principale de défendre les droits de l’homme, c’est une dérive peu banale que de faire la promotion du hijab et de piétiner ainsi les droits des femmes qui se battent pour l’enlever. 

Le Conseil de l’Europe est né en 1949, par le traité de Londres, de la volonté générale d’éviter de nouveaux massacres, de nouvelles horreurs. Comme après toutes les grandes guerres, on crée des organismes censés éviter la prochaine : Conférence internationale pour la paix, après la guerre de 70 ; Sociétés des Nations (SDN) après celle de 14-18 ; ONU (Organisation des Nations Unies) en 1945. L’Europe, qui a beaucoup à se reprocher en matière de conflits, a tenu à se doter d’une organisation particulière, le Conseil de l’Europe qui regroupe 47 pays, dont la Turquie et la Russie. L’Amérique et l’Asie ont fait de même.

Les bonnes volontés se déchaînent, les organisations mondiales se multiplient : UNESCO (science et culture), UNICEF (enfance), OMC (commerce), UNHCR (réfugiés), OCDE (développement économique), PAM (programme alimentaire), WHO (santé), etc., sans compter les ONG (organisations non gouvernementales). Et pendant ce temps on s’étripe au Moyen orient, en Afrique… on meurt de faim, les réfugiés se multiplient, la démocratie recule jusqu’en Europe. Peut-être les réunions, les rapports, les dénonciations ne sont-ils pas assez efficaces. Il faudra demander aux Tchétchènes.

Conseils, assemblées, comités, secrétariats, cabinets… des milliers de personnes intelligentes et diligentes, s’échinent sur les malheurs du monde. Rendons hommage à leurs résultats, mais ils sont minces au vu des efforts déployés. On peut se demander si c’est la bonne méthode, s’il ne faudrait pas faire l’économie de toute cette gigantesque hypocrisie, parfois perverse, qui n’a jamais évité une guerre. Et qui est sujette à toutes les influences voire à la corruption. Les lobbyistes, dont le rôle est de faire passer un intérêt particulier avant l’intérêt général, font la loi dans cette jungle (c’est ce qu’on appelle la diplomatie du caviar).

Mais ne changeons rien : Bon appétit messieurs ! Ô ministres intègres ! Conseillers vertueux ! (Ruy Blas, Victor Hugo).

Marx vs Bakounine, dictature du prolétariat contre l'anarchie

Marx vs Bakounine

Le 18/10/2021

Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine (1814 – 1876) est un aristocrate russe né à Tver (entre Moscou et Saint-Pétersbourg). Karl Marx (1818 – 1883) naît à Trèves (en Prusse), dans une famille bourgeoise juive convertie au protestantisme. Bakounine préfère l’université à la carrière militaire à laquelle il était destiné, quant à Marx c’est un pur universitaire, il obtient son doctorat à Iéna.

Les deux géants du socialisme rivalisent de pilosité et d’ivrognerie. L’un boit l’alcool à la russe jusqu’à perdre conscience, l’autre boit comme un Allemand, chope de bière sur chope de bière, jusqu’au débordement. Ils ont en commun une santé délabrée. Marx vit dans une misère noire pendant 20 ans, dans les deux pièces d’un taudis à Londres avec sa nombreuse famille (il aura 7 enfants dont 4 mourront en bas âge). La malnutrition, le manque d’hygiène et de sommeil, le travail intellectuel forcené, entraînent des anthrax à répétition, des rages de dents… il souffre aussi d’une hépatite chronique et sur la fin, ses poumons seront atteints par un cancer. Bakounine garde de ses séjours en prison une santé chancelante. Il a perdu toutes ses dents à la suite du scorbut contracté à la forteresse de Königstein, il souffre d’une maladie de cœur et de pathologies diverses, foie, estomac… Marx n’aura passé qu’une nuit en prison (en Belgique) tandis que Bakounine, condamné trois fois à mort, sera interné de nombreuses années et déporté en Sibérie.

Bakounine est un géant de près de deux mètres, dandy négligé, il domine les assemblées par son aspect gigantesque et sa taille athlétique. Sa figure rabelaisienne de titan à la tête de lion, avec une superbe crinière, retient le regard. Mais son visage accuse la fatigue et la maladie. Et les abus. Il dédaigne l’argent, le distribue à pleine main quand il en a et emprunte sans vergogne, en oubliant de rembourser, quand il n’en a pas. Il y a dans sa nature quelque chose de franc, de simple et de convaincant qui attire. On a envie de se dévouer pour lui. Les ouvriers suisses ne l’appellent que Michel.

Marx, la peau brune, la barbe et les cheveux noirs et frisés, se compare lui-même au Maure de Venise. Habillé en bourgeois, le lorgnon en sautoir, il se tient au milieu de ceux qui l’entourent comme une cour, tel un souverain. Il est vrai qu’on ne peut oublier cette tête remarquable, aux yeux pleins d’intelligence malicieuse, dans un visage où l’expression de la bienveillance est absente. On sent qu’il pourrait mordre ses ennemis ! (C’est ce que dit de lui un anarchiste peu suspect de flagornerie).

Marx est amoureux fou de Jenny von Westphalen (il séduit aussi son père, qui permet enfin le mariage après 7 ans de fiançailles). La belle aristocrate se dévouera pour lui jusqu’à la mort, dans la maladie, les grossesses annuelles, la pire misère et la trahison. Karl fait un enfant à la jeune et jolie bonne de la famille, Hellen Demuth, dans la pure tradition bourgeoise. Il ne reconnaîtra pas l’enfant (Engel s'en chargera). Bakounine épouse à 44 ans une jeune polonaise de 17 ans, Antonia Kwiatowska, fille d’un exilé comme lui en Sibérie. Il s’évade et son épouse le rejoint à Stokholm plus d’un an après. Antonia tombe amoureuse d’un anarchiste italien, Carlo Gambuzzi avec qui elle aura trois enfants (et un quatrième après la mort de Bakounine) qu’il reconnaîtra suivant ses convictions libertaires. Il prône une liberté sexuelle totale pour les femmes et la fin de la famille juridique autoritaire.

Après avoir été amis à Paris puis à Londres (Bakounine traduit en russe le Manifeste du parti communiste de Marx et Engel), ils sont devenus les pires ennemis. Marx veut la dictature du prolétariat, le gouvernement des ouvriers, Bakounine l’anarchiste, ne veut aucun gouvernement. Ils participent tous deux à la fondation de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT ou première Internationale) mais Marx obtiendra l’éviction de Bakounine au congrès de La Haye en 1872, où les socialistes autoritaires (les communistes) ont la majorité. La première Internationale n’y survivra pas.

Marx est un homme de cabinet, il n’a jamais mis les pieds dans une usine. Travailleur acharné, brouillon, il ne sait pas terminer un ouvrage, c’est Engel qui met de l’ordre dans ses papiers (Il est le seul à pouvoir déchiffrer son écriture : il écrit avec ses griffes dit-il). Bakounine au contraire est un homme de terrain, il est de toutes les insurrections (Paris en 1848, Prague, Dresde en 1849, en Allemagne, en Pologne, à la Commune de Lyon en 1871…). Orateur de talent, il intervient dans les assemblées révolutionnaires, galvanise les hommes, monte aux barricades, intrépide, infatigable. Il en est même parfois encombrant ! Il n’en laisse pas moins une œuvre philosophique importante.

Il n’y aura pas plus de 20 personnes à l’enterrement de Marx tandis qu’une foule se presse autour du cercueil de Bakounine, la princesse Zoé Obolenskaia son égérie, a envoyé une voiture pleine de fleurs. Les anarchistes suisses, français, italiens, allemands, pleurent sincèrement leur ami Michel.

Dîners de bobos ou quand la ville s'invite à la campagne

Le bobo des villes et le bobo des champs

Le 07/10/2021

(Mes excuses à M. De La Fontaine)

Le bobo des villes a invité le bobo des champs à dîner.

Un dîner en ville élégant comme il se doit,

Avec des personnalités presque ministres

Des femmes d’esprit, des jolies journalistes.

La chère sera saine, goûteuse et rare. De grand choix.

 

Le bobo des champs est parti au point du jour

Dans sa voiture de collection à pétrole,

Mais son véhicule est interdit de séjour

Dans ce quartier huppé de la métropole,

Où dorment les SUV propres, rechargeables et lourds.

 

Le bobo des champs arrive enfin en taxi.

Son épouse, à la maîtresse de maison ravie,

Offre un panier de légumes de leur jardin,

Bios évidemment, issus de tous leurs soins.

On s’extasie à la ronde sur leur aspect moche.

Certains demandent ce que c’est, fruit ou légume ?

Et chacun feint de s’intéresser, tâte et hume.

 

Le dîner est chic, le vin bio coule à flot.

Car ça ne peut pas faire de mal la bamboche,

Non plus le quinoa andin des hauts plateaux,

Ou le cher tabac récréatif marocain.

On parle arbres, qualité de l’air, jus d’agrumes,

Lisier, labourage, pesticides enfin.

Le bobo des villes approuve sans écouter.

La ville est trop sale, bruyante et polluée.

Il pense bien à s’installer à la campagne.

Rendez-vous est pris pour un week-end prolongé

En région Bretagne, chez le bobo des champs.

 

« J’ai galéré pour trouver la propriété

Le GPS vous mettait en Afghanistan ! »

Dit le bobo des villes depuis son auto

4x4 hybride de 300 chevaux,

Avec une boîte automatique à crabots.

« Nous avons pris des bottes – Vous avez raison,

Il a un peu plu, mais ce n’est pas la saison. »

 

Après la visite du jardin potager,

De la chèvre, de la brebis, du poulailler,

Des fleurs, et des paillages en ardoise d’Anger,

Au fond du jardin, le bobo des champs s’excuse :

« J’en pouvais plus de débroussailler le talus

C’est plus propre, J’ai mis du plastique dessus.»

Au composteur, le bobo des villes accuse :

« C’est étrange, il ne sent rien ton fumier !

– Il ne fonctionne pas, je ne sais pas pourquoi.

– C’est le bio, c’est trop sain, ça ne pourrit pas ! »

Affirme le bobo des villes en riant.

 

Tous à table ! Le maire écolo est venu

Avec sa femme, ancienne hippie toute fripée,

Habillée en coton bio équitable

Des chaussettes au turban, sandales confortables

Fabriquées en Inde dans de vieux pneus.

La conversation est confuse, au mieux,

Mais inclusive, c’est fini le new-âge

Et les chakras, on peut évoquer les varices.

Le maire défend la cause du coq Maurice,

Qui sonne le réveil à quatre heures du matin.

Le bobo des champs aime bien le coq au vin.

Les cloches du curé sont aussi un problème

Mais à ce niveau on est plutôt sur le thème

Du père Dupanloup, que bientôt on chante,

(On a fait des études, ce n’est pas pour rien)

Et que la campagne est belle, ravissante,

Sa poésie est presque d’un ordre divin,

On évoque Watteau et ses fêtes galantes.

 

La nuit a été belle, personne n’a vomi.

« Il vaut mieux pas être malade, a dit le maire,

Et ne cherchez pas, le plus proche médecin

N’exerce pas sur le même méridien.

Heureusement qu’on peut voir un vétérinaire

Qui est expert en maladies du coin. »

 

À quatre heures du matin Maurice réveille

Ceux qui ont pu dormir, sur l’une ou l’autre oreille.

Des fragrances odieuses se répandent,

C’est dimanche, jour d’épandage du lisier.

Les moustiques repus vont se reproduire

Et les mouches se mettent intensément à bruire.

L’hôtesse s’excuse, pour les croissants surgelés,  

L’excellent boulanger du village est parti.

Il a fait fortune comme plombier à Paris.

 

Le bobo des villes remercie le bobo

Des champs, pour son accueil, son fromage, ses légumes

Son eau de vie artisanale et son champagne.

Il est résolu à habiter la campagne

Là où il n’y a pas d’agriculteur, de coq et de curé.

Avec le prix de son six pièces, une fortune,

Il se paiera 120 hectares de forêt

Murée, autour d’un château de prince charmant.

Et chaque matin dès l’aube, il se fera livrer,

Les croissants tout chauds, par un esclave à vélo.

*

L'entropie humaine croît inexorablement vers le chaos.

Entropie humaine

Le 24/09/2021

En physique, une notion m’a toujours paru mystérieuse, même si on peut la traduire par des expressions mathématiques : l’entropie. Cette valeur qui ne peut que croître me semble d’ordre divin ou plutôt diabolique. Est-elle universelle ?

Qu’est-ce que l’entropie ? C’est une grandeur qui permet d’évaluer la dégradation de l’énergie d’un système, l’entropie caractérise son degré de désordre. Elle peut s’exprimer par le rapport entre la quantité de chaleur et la température d’un système isolé : Q/T. L’entropie est intimement liée à la flèche du temps. Il est impossible de revenir à l’instant d’avant. Un sucre dissout dans le café ne redeviendra jamais un sucre. Et les particules de sucre bien ordonnées et figées dans des cristaux sont maintenant associées aux molécules d’eau en désordre et en mouvement. L’entropie du petit noir, et du sucre sur la soucoupe, a augmenté.

Peut-on parler d’entropie humaine ? L’humanité peut-elle être considérée comme un système isolé ? Il serait simple de dire qu’un ensemble vivant ne subit pas les lois de la thermodynamique et n’en parlons plus. Je n’en crois rien. La flèche du temps agit cruellement sur nous. On n’a jamais vu un mort revenir à la vie (à de rares exceptions près). L’entropie du genre humain ne pourrait-elle que croître, comme celle de toutes choses dans l’univers ?   

Le vivant a une relation particulière à l’énergie. Contrairement aux systèmes naturels inanimés qui dispersent l’énergie dans l’environnement, le vivant consomme de l’énergie, il pompe dans son milieu pour vivre. La vache mange de l’herbe et restitue des gaz nauséabonds. On sait ce que commet l’homme. Dans un système en équilibre avec assez de pluie et pas trop de vaches, l’entropie globale ne croît pas trop vite (il y a quand même transformation de carbone organique en gaz dans l’atmosphère). Mais sur terre nous sommes très loin de l’équilibre.

L’énergie de l’univers se dégrade, le désordre augmente mais la richesse aussi. À partir de l’hydrogène et de l’hélium les étoiles en mourant fabriquent de l’or. Sur terre peut-on dire que la vie est une richesse ? Si on considère que la vie n’a pour but que sa pérennité (je ne vois pas quel autre but elle pourrait avoir) elle débouche obligatoirement sur le progrès des espèces par la sélection naturelle. La vie s’enrichit d’elle-même. La complexité gagne, donc le désordre, forme de l’entropie de la vie.

Mais l’homme ? On pourrait se contenter de ce qui vient d’être dit. L’homme est le fruit de l’évolution (on sait aujourd’hui que de nombreuses espèces d’êtres humains ont précédé l’homo sapiens) et son entropie marquerait le sommet (provisoire) de la vie. Ce serait sans compter les civilisations qui se sont succédées et se sont effondrées l’une après l’autre. Y a-t-il un rapport entre l’hégémonie exercée par un groupe humain et l’entropie générale ?

De toute évidence oui ! Les lois, les mœurs, les contraintes imposées par le groupe dominant, viennent se superposer aux règles des dominés. Les minorités s’opposent au pouvoir. Le désordre s’accroit avec les conflits. Quel bond formidable de l’entropie humaine qu’une guerre. L’énergie (au sens large) dégradée est perdue à jamais. Sur les ruines, une nouvelle civilisation s’installe, toujours plus avide, et l’entropie continue de croître sans possibilité de retour en arrière.

L’entropie humaine se nourrit des ressources disponibles sur terre, fournies en grande partie par le soleil (les énergies fossiles seront un jour épuisées mais l’énergie colossale fournie par le soleil devrait toujours suffire à satisfaire nos besoins les plus délirants). L’homme finira-t-il dans un désordre gigantesque, une espèce de mouvement brownien de ses mille milliards d’habitants ? Puis le soleil s’éteindra après un gigantesque feu d’artifice, la terre se débarrassera de son atmosphère et de ses habitants, réduits en poussière, vide d’énergie. L’entropie, cette valeur mystérieuse, grandira encore jusqu’à la dispersion totale de la planète dans le vide intersidéral.

Comment voyait-on le futur il y a 50 ans ?

Le choc du futur

Le 01/09/2021

J’ai relu Le choc du futur d’Alvin Toffler, paru en 1970. Ce livre oublié aujourd’hui, avait eu un succès considérable à l’époque. Cinquante ans après sa parution, il m’a semblé intéressant de comparer sa vision du futur à la réalité advenue. Et les solutions qu’il préconise à celles que nous avons trouvées pour supporter le choc, si tant est qu’il y ait eu un choc.

Bien vu d’abord, ce qu’il appelle le super-industrialisme et que nous nommons aujourd’hui la civilisation post-industrielle. Les pays à haut développement technologique s’engagent dans le secteur tertiaire et rejettent le travail manuel. C’est le triomphe des cols blancs. Mais Toffler n’évalue pas le coût énorme de ce triomphe en termes humains, la paupérisation de régions entières et le report de la pollution, de la déforestation, de la réduction de la biodiversité, etc., dans les pays en voie de développement. Il ignore en 1970, le réchauffement climatique, qui est maintenant une préoccupation majeure. Et pourrait provoquer un véritable choc de civilisation en retour.

Toujours sur le plan économique, il cite le Secrétaire général des Nations unies U Thant : « Aujourd’hui […] les ressources ne sont plus une limite aux décisions, ce sont les décisions qui font naître les ressources. Tel est le changement fondamental et révolutionnaire – le plus révolutionnaire peut-être de mémoire d’homme. » On peut dire cinquante ans après que le phénomène s’est inversé. À force de puiser sans mesure dans les ressources nous en sommes à redouter leur épuisement. C’est la disponibilité des ressources qui impose les décisions (le choix des matières premières et des produits semi-finis), elle impacte les politiques nationales, entraîne des guerres, alimente le terrorisme et suscite des alliances parfois contre nature. Et le transport massif pose de plus en plus de problèmes. Plus grave encore, les êtres humains sont aussi considérés comme des ressources (voir mon billet « Du personnel aux ressources humaines » du 20 août 2018).

En 1970 Toffler peut déjà dire que les frontières ont éclaté, que le réseau des liens sociaux est si serré que les conséquences d’un évènement se répandent instantanément dans le monde entier. Il n’emploie pas le terme de mondialisation mais il en a l’intuition. Un évènement qui ne concerne qu’une poignée de gens au moment où il s’est produit, peut avoir des conséquences mondiales (Black Lives Matter, Me too…). Et les évènements du passé refluent sur nous (esclavage, colonisation, Shoah…).

Le choc du futur pour Toffler, se trouve principalement dans l’accélération générale que subissent les habitants du monde. Tout va plus vite, c’est le règne de l’éphémère. On jette, on divorce, on change de métier, de résidence… on vit à cent à l’heure et l’on communique plus vite encore. Toffler se demande si l’homme réussira à s’adapter, si de nouvelles pathologies ne vont pas apparaître, dues aux changements rapides, brutaux et continuels de nos conditions de vie. Il ne semble pas pourtant, que 50 ans de changements radicaux (stress, pollution, réduction du sommeil, nourritures industrielles, usage des écrans, etc.) aient engendré de nouvelles maladies. Bien que l’espérance de vie (hors Covid) soit en recul dans certains pays, aux USA particulièrement, mais les causes en sont complexes. En revanche, la mondialisation nous met à la merci d’une pandémie qui s’étend à toute vitesse et le changement climatique semble impacter de plus en plus notre vie quotidienne : catastrophes météorologiques, plantes et insectes invasifs, mauvaises récoltes… Toffler se trompe sur les causes mais le résultat pourrait être le même.

Il n’a pas idée du saut quantitatif énorme des échanges au niveau de la planète en 50 ans. Échanges, dont les conséquences nous échappent totalement, qui vont du virus mortel, aux mœurs américanisées (les Lumières sont ringardisée), en passant par les réseaux sociaux. Échange aussi de biens de toute nature : roses d’Ethiopie, haricots verts du Kenya, voitures coréennes, téléphones chinois… Toffler cite en exemple, l’introduction des postes à transistors qui ne serait pas étrangère à la recrudescence des nationalismes arabes ! Le transistor est un pétard à mèche, comparé à la bombe H d’Internet. Cependant il prévoit l’invention d’un assistant personnel virtuel (et intelligent), qui n’apparaîtra que vers 2010 (OK Google !). Ce n’est pas si mal, alors qu’IBM en est encore aux cartes perforées.

Toffler attaque rudement la technocratie verticale de nos dirigeants. Il prédit une instabilité sociale de plus en plus grande et une perte de contrôle sur les forces qui génèrent l’évolution de la société (on pense aux Gilets jaunes). Ce n’est pas aux politiciens, aux scientifiques et encore moins aux technocrates, qu’il faut demander dans quel monde nous voulons vivre dans dix, vingt ou trente ans, il faut aller au peuple. Belle utopie que le référendum permanent qu’il suggère !

 Il raisonne en démocrate américain et pense comme Francis Fukuyama, que la démocratie libérale sera la forme finale des gouvernements de tous les pays et conduira à  La fin de l’histoire. Mais tout le monde n’est pas américain et la démocratie perd du terrain partout, y compris en Europe. Et ce n’est pas de la seule faute des technocrates.

Finalement, la prospective de Toffler est assez juste. Il voit bien que, à mesure que l’interdépendance mondiale des groupes sociaux se fait plus étroite, le plus petit d’entre eux acquiert un pouvoir explosif terrifiant. La démocratie n’a pas de réponse à ce problème. Nous sommes lancés à toute vitesse vers l’inconnu, dans le noir, en espérant ne pas percuter un mur. Mais Toffler passe complètement à côté de ce qui est vraiment le choc du futur, l’explosion démographique et son corollaire, la préservation de la planète pour la survie du genre humain.

  

Inclusif, inclusion, mais faut-il inclure les faux-culs ?

Inclusif

Le 05/08/2021

Inclusif, le mot à la mode. Il en est qui tout-à-coup deviennent viraux (viral est lui-même un mot viral) dans la presse, sur Internet et dans le langage des politiques. Comme pour les épidémies, on ne sait jamais trop d’où c’est parti. Tout ce que l’on sait, c’est que le virus se propage à grande vitesse et qu’il fait des ravages.

Une des premières apparitions de l’adjectif inclusif, qui a contaminé les médias, puis les hommes et les femmes politiques qui écrivent, s’est trouvée dans l’écriture inclusive. Selon la professeure Ayada, elle n’y voit nulle inclusion et seulement une tentative de destruction de la langue française. Je trouve que c’est faire beaucoup d’honneur aux activistes qui l’on inventée ou la pratiquent. Cette écriture qui ne peut se lire à haute voix, est seulement une sottise de plus, que s’attache à pratiquer les féministes intégristes et les politiques démagogues, qui craignent de perdre la voix des femmes aux prochaines élections. Quant à moi, je suis favorable à utilisation du féminin à la place du neutre masculin. Ne dit-on pas, les femmes et les enfants d’abord en cas de naufrage ? Celui de la langue française en l’occurrence. 

Le terme inclusif qui signifie simplement « qui contient en soi quelque chose d’autre » devient générique. Par exemple, l’éducation inclusive qui « vise le plein développement de l’autonomie et de l’autodétermination des enfants et principalement de ceux ayant des besoins particuliers. Elle encourage l’ensemble de la communauté (ce terme n’est pas du tout inclusif puisqu’il exclut ceux qui n’en font pas partie) à privilégier l’intégration de tous les enfants dans les différentes sphères d’activités. » Belle utopie généreuse, que n’adopteront certainement pas les parents de petits génies (et ils sont nombreux), même s’ils sont wokes (conscients des injustices et du système d’oppression qui pèsent sur les minorités).

J’oserais la comparaison entre intégration et inclusion. On dit intégrer l’X, Sciences-po., Normale sup. ou parfois aussi un C.P. Montessori. Intégrer c’est atteindre un niveau supérieur. Les journées d’intégration par exemple, permettent à ceux qui n’ont jamais bu une bière de passer directement à la tequila. L’inclusion au contraire met tout le monde au même niveau et comme on ne peut pas transformer un âne en cheval de course, on fait courir les ânes.

Au top niveau de l’inclusion on peut mettre Nayib Bukele le président du Salvador. Il a décidé l’inclusion financière des plus pauvres, en légalisant le cours du bitcoin dans son pays. Voilà une nation qui va confier sa monnaie à un algorithme, pour éviter les commissions versées aux banques sur les transferts de fonds des expatriés (qui représentent tout de même  21 % de son PIB). Le blanchiment de l’argent sale et la corruption, plaies du Salvador, vont certainement bien profiter de la situation. Le petit paysan, qui n’a même pas de compte en banque, va se trouver en position extrêmement périlleuse. Son maigre lopin de terre, risque de se retrouver rapidement aux mains d’un narcotrafiquant.

L’inclusion mise à toutes les sauces, risque d’être un plat difficile à digérer. Il est peu probable qu’elle mette fin aux injustices, discriminations, racisme et haines recuites qui minent la société. Elle peut même en rajouter. Dans l'horreur : Le porte-parole des Talibans, nouveaux maîtres de Kaboul, Suhail Shaheen a déclaré: "Nous voulons un gouvernement islamique inclusif." Après ça, comment utiliser ce mot sans trembler ?