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Le 10/03/2024
Voiture électronique
J’ai acheté une voiture neuve. L’électronique de mon SUV vieux de dix ans n’en faisait plus qu’à sa tête et le psychanalyste du garage n’en pouvait mais. Ma dixième voiture (j’ai 62 ans de permis) dite hybride, est plus vertueuse qu’un vieux SUV, selon l’air du temps (mais pèse le même poids bien que beaucoup plus petite).
Passer commande a été un jeu d’enfant. La description du véhicule avec les options tient en deux pages, le reçu une page et les Conditions générales de vente cinq pages (en deux colonnes et caractères microscopiques. Je paraphe et signe. Puis vient la Politique de confidentialité des constructeurs automobile européens, cinq pages toujours en caractères microscopiques, je signe. Comme si cela ne suffisait pas, la Politique de confidentialité propre au constructeur suit, quatre pages seulement, je signe.
Ce n’est pas fini. Il reste les Conditions générales d’utilisation et de vente des services connect one, seize pages sur trois colonnes. Il s’agit, si j’y ai compris quelque chose, de l’utilisation des services de communication informatique installés sur la voiture en usine. Alors là pas de discussion, ça fait partie du contrat d’achat que le client confirme avoir lu et avoir été pleinement informé de toutes les dispositions des présentes conditions. Pour une description détaillée des dits services, il faut aller sur le SITE WEB (lequel ?). Cette fois pas besoin de signer, d’ailleurs vous ne pouvez pas, vous avez les mains liées.
Enfin rassuré sur la confidentialité de mes faits et gestes, il ne me reste plus qu’à attendre un peu pour prendre possession de mon véhicule et éplucher toute cette littérature que j’ai approuvée sans la lire. Un petit paragraphe attire mon attention : « Nous nous réservons le droit d’adapter et/ou de modifier cette politique de confidentialité à tout moment. Nous vous informerons de toute modification substantielle. Des QR codes et des liens permanents sont imprimés dans la notice de votre véhicule pour vous permettre de lire à tout moment les dernières versions de la présente politique de confidentialité. » Par notice du véhicule il faut entendre un fichier de près de 700 pages sur le net où je n’ai vu aucun QR code. Merci à l’Europe, qui déploie au-dessus de nos têtes un parapluie virtuel !
Un joli et sommaire livret d’accueil est livré avec la voiture. Il vous indique comment ouvrir la portière et démarrer, pour le reste allez voir sur Internet. Je crois avoir le véhicule bien en main à présent, après quinze jours de tâtonnements nerveusement pénibles. Je maîtrise enfin le limiteur de vitesse d’une ergonomie aberrante. Et voilà que le témoin de sous-gonflage des pneus s’allume avec une petite musique. Aurais-je crevé ? Non.
Je commence par insulter les capteurs, saleté d’électronique ! Un peu calmé, je vérifie la pression des pneus, ils manquent véritablement d’air (étonnant pour une voiture neuve). Je fais l’appoint. Le voyant de défaut sur le magnifique tableau de bord polychrome numérique reste allumé. Il m’indique que je dois réinitialiser la pression pour qu’il s’éteigne. Il ne me dit pas comment faire. Je cherche, bidouille, fouille dans l’ordinateur de bord, dans la plantureuse notice sur le web. Partout on me dit qu’il faut réinitialiser (comme si c’était une évidence) et nulle part on ne me dit comment. Je cherche aussi sur Google où je trouve toutes sortes de tutos qui ne correspondent pas à la configuration de ma voiture (dite nouvelle).
« Patience et longueur de temps font mieux que force ni que rage ». Après une nuit de repos, je reprends ma quête. Et enfin je trouve la solution tout seul. Il suffit après avoir appuyé sur la petite maison, d’aller dans paramètres, de trouver, véhicule puis sécurité, pour enfin arriver à réinitialisation. Rien que quatre menus successifs à dérouler pour enfin arriver au but. Ne le faites pas en roulant. Après ça, j’ai bien mérité de boire la bouteille de champagne offerte à la réception de la voiture.
Le 22/01/2024
APOCALYPSE
Apocalypse signifie révélation. Il n’est pas possible de représenter le texte attribué à saint Jean (l’aigle de Patmos, voir “Le trésor de Rackham le rouge”) dans une seule image tant le récit est foisonnant, parfois incohérent et toujours symbolique. Le tableau est centré sur les sept trompettes de l’apocalypse qui sonnent la fin du monde.
Les jets rouges, figurent des sons stridents insupportables, tels les rayons d’une roue qui en tournant déstabilise le regard vers les différents épisodes du texte.
Sept anges sonnent de la trompette à l’ouverture des sept sceaux pour annoncer la fin du monde.
Aux angles du tableau les quatre Vivants : un lion rugissant, un taureau en furie, un homme (on le reconnaitra peut-être) portant le chiffre de la Bête sur sa cravate (666) et un aigle qui regarde déchirer les hommes et qui racontera.
Les étoiles représentent les astres du ciel qui s’abattent sur la terre.
L’ange au zénith tenant une épée crie : « Malheur, malheur, malheur aux gens de la terre quand retentira la septième trompette ! La mort par le glaive pour qui doit périr par le glaive. »
L’agneau égorgé assis sur le Livre brise les 7 sceaux. Apparaissent :
Un guerrier qui tient un arc sur un cheval blanc, symbole de la victoire.
Un chevalier sur un cheval rouge armé d’une épée, il bannit la paix de la terre.
Un cavalier sur un cheval noir, il tient une balance, symbole de la famine (les denrées sont rationnées et à un prix exorbitant) la queue de son cheval porte des têtes de serpents.
Un spectre sur un cheval vert tient une faux, il représente la peste.
« Enfin, dans un trou du ciel une faucille d’acier s’est levée, belle et puissante et menaçante. Elle vient pour moissonner les hommes. » C’est la lune.
Une femme s’élève dans le ciel, la tête couronnée de douze étoiles. Gravide. Elle va s’accroupir pour accoucher mais des vagues forcenées émerge un monstre. Un dragon rouge, venu pour dévorer son enfant. Sa queue balaie les étoiles du ciel qui reste noir et vide après son passage. Mais la femme se sauve au désert avec son fils, protégée par des myriades d’anges. La lune est sous ses pieds.
Le dragon disparaît lentement dans la mer, une énorme chaîne en fer lestée d’une ancre attachée à sa patte.
Babylone la prostituée nue, s’appuie sur un monstre, monstrueuse elle-même dans ses actes.
Les ruines sont celle de Babylone (Rome) La Grande, celle qui a abreuvé toutes les nations du vin de la colère.
Sur une montagne s’élève la cité sainte de Jérusalem, elle resplendit de gloire.
Dieu, son trône et les sages qui l’entourent ne sont pas représentés. Ils contemplent le spectacle eschatologique. Aujourd’hui l’horreur est tout autre, en soixante-dix après Jésus-Christ, Jean ne peut imaginer les moyens que nous utilisons aujourd’hui pour supplicier les hommes et potentiellement détruire l’humanité.
L'intelligence artificielle (IA)
Le 20/12/2023
Intelligence artificielle (IA)
Rejoint les abonnés [de ChatGPT] si tu veux maitriser l’IA avant qu’elle ne te remplace.
La meilleure façon d’écrire ce billet aurait été de demander à l’IA de le faire à ma place mais je crains le conflit d’intérêt, aussi je ne le ferai pas. Je m’inscrirai à ChatGPT ultérieurement. Inutile d’expliquer ce qu’est l’IA (y a qu’à lui demander), ce qui est problématique c’est ce qu’on va en faire et jusqu’où elle peut aller. Elle dépasse déjà les performances humaines au jeu de go ou aux échecs et peut surpasser les étudiants en droit aux examens universitaires.
Pourrait-elle un jour accéder à la conscience ? Ses créateurs le croient. La conscience est ce qui différencie l’humain de l’animal (l’homme sait qu’il sait). Une machine fera-t-elle mieux qu’un chat ou un chien dans le domaine de l’attachement, pourra-t-on se marier a un robot ? Les concepteurs de l’IA pensent que l’AGI (l’Artificial General Intelligence qui dépassera l’homme dans ses fonction cognitives) apparaitra de leur vivant. Elon Musk espère « qu’elle sera gentille avec nous, les humains ».
Car les créateurs de l’IA ont peur. Les investisseurs ont même viré Sam Altman (le père de ChatGPT) supposé avoir amorcé une percée majeure vers AGI, considérée par eux comme une menace pour l’humanité. Satya Nadella, numéro un de Microsoft l’a réintégré quatre jours plus tard, le temps de refaire les prévisions de profitabilité.
Ils ont raison d’avoir peur. Des petits malins ont démontré que le paramétrage de l’IA (pour lui éviter de faire l’apologie du nazisme par exemple) est contournable. On peut leurrer la machine. D’autre part, l’IA va inévitablement détruire des emplois comme toutes les innovations technologiques majeures. Mais le pire, après l’utilisation militaire (un tuto en accès libre pour construire une arme monstrueuse par exemple) est l’impact sociétal, l’immense chaos que pourrait produire l’IA en travestissant la réalité. Les démocraties pourraient ne pas survivre à une information privée de toutes références au réel. À la vérité.
L’apparition de l’IA est comparable à l’invention de l’imprimerie qui a bouleversé la connaissance (et les croyances, par la diffusion de la Bible). Cette fois, selon Sam Altman, c’est l’existence même de l’humanité qui est en jeu. Il exagère, il restera toujours quelques sauvages qui ignoreront l’informatique.
Le 28/11/2023
La génétique comportementale
Mais qu’est-ce donc que la génétique comportementale ? Nous serions le produit d’un arbitraire social mais également d’un arbitraire génétique. Notre comportement ne serait pas seulement acquis mais aussi hérité, inné, inscrit dans nos gènes. Sachant que l’inné est de droite (le sang bleu) et l’acquis (l’égalité à la naissance) de gauche, il devient impossible d’en discuter sereinement. Faisons-le tout de même.
Pour la gauche nous naissons tous égaux sur le plan comportemental et pour la droite au moins une partie de nos actions (voire de nos pensées) serait innée. Exemple : l’alcoolisme est-il héréditaire ? Les recherches en ce sens n’ont rien donné. Il n’y a pas de gène ou d’association de gènes qu’on puisse relier à l’alcoolisme. En est-il de même pour la gentillesse, le tempérament, la dyslexie ou plus sévèrement pour la dépression, l’autisme ou la schizophrénie ? Récemment des mutations de gènes ont été constatées pour des cas graves d’autisme et de schizophrénie. La sottise de l’idiot du village peut difficilement être attribuée à l’environnement, sauf à habiter dans les Alpes (le crétin des dites). De toute évidence la génétique (l’hérédité) a une influence sur le comportement, tout comme l’environnement (le milieu social, la famille, l’éducation…).
Faut-il pour autant rechercher dans ses gènes les causes de la dysphasie du petit Albert E. par exemple, alors que ses parents n’en ont pas souffert ? Le fameux QI de notre petit dernier est-il hérité de son arrière-grand-père qui a écrit un livre sur l’éradication des doryphores ? Et à quoi cela servirait-il de le savoir ? À pratiquer l’eugénisme ? Le grand mot est lancé : l’eugénisme consiste à éliminer à la naissance ou avant de préférence, les sujets problématiques soupçonnés d’avoir un comportement déviant dans leur vie future. Un certain docteur Alexis Carel (prix Nobel de médecine 1912) en faisait la promotion, depuis on a débaptisé les rues portant son nom.
Si la déviance d’un individu est due à une mutation génétique, cela change-t-il quelque chose à sa responsabilité ? Peut-on y remédier ? Que faire du porteur d’un gène poussant au meurtre, détecté avant son premier crime ?
C’est beaucoup trop de points d’interrogation. Il ne faut pas oublier que l’on sait depuis Darwin que c’est par mutations successives (le hasard et la nécessité) que des singes sont devenus ce que nous sommes, de corps et d’esprit.
Comme tout ce qui peut être fait sera fait un jour, il est inévitable que les recherches sur la génétique comportementale continuent et débouchent sur des mutations volontaires. Déjà des entreprises américaines proposent à leurs clients de sélectionner des embryons sur la base de QI prédits génétiquement (il y est fait allusion dans la série Nine Perfect Strangers, de 2021).
Un jour, un nouvel Adam et une nouvelle Ève croqueront le fruit génétiquement modifiée de l’arbre de la connaissance. Le résultat risque d’être terrifiant pour l’humanité.
Le 28/10/2023
Plussoir, plussoyer
Ô stupeur ! Je découvre dans le Télégramme de ce matin un mot inconnu (pour moi) sur le clavier de Blandine Le Cain et Alexis Souhard. Je cite : « Les gens achètent leurs médicaments en sortant tout juste de chez le médecin plussoie Véronique Prié. » J’ouvre aussitôt mon encyclopédie tablettiforme. À ma grande surprise elle répond :
« Plussoir est un verbe intransitif (là je doute) du troisième groupe qui signifie abonder dans le sens de…, exprimer son accord par rapport à une personne, une proposition, etc. Il s’agit d’un néologisme né sur les réseaux sociaux à une période indéterminée. Son origine viendrait du signe “+” ou “+1” que l’on apporte en partageant une information, ou en likant par exemple. Le verbe plussoyer est aussi utilisé. Du premier groupe, il est plus facile à conjuguer mais l’un et l’autre se disent… »
Donc dans la citation du Télégramme, il ne s’agit pas du verbe plussoir, il aurait fallu écrire plussoit et non plussoie du verbe plussoyer Je remercie Google pour ces informations, j’aurais bien plussoyé l’article moi aussi mais je ne sais pas comment faire. Ainsi les réseaux sociaux ne se contentent pas de pourrir la vie des ados mais apportent aussi au lexique national des nouveaux mots, pas seulement anglo-saxons mais aussi de consonance bien française. Nous tous qui tapotons les claviers, nous aimons faire preuve de culture, surprendre par notre érudition le lecteur de nos élucubrations. Les hommes politiques aussi sont friands de mots originaux, savants, rares dont le public se souviendra : De Gaulle avec sa chienlit, son quarteron de généraux (un quarteron désigne un quart et non un groupe de quatre – ou un métis), Jacques Chirac avec son abracadabrantesque tiré d’un poème d’Arthur Rimbaud (Le cœur supplicié), la bravitude de Ségolène Royal, le bololo d’Édouard Philippe, les totipotent, obsidional et autres caveat d’Emmanuel Macron, recordman en la matière.
Est-il utile de créer de nouveaux mots ou d’en promouvoir d’excentriques ? La question ne se pose pas pour les hommes publics qui ont besoin de paraître plus cultivés, plus créatifs que le vulgum pecus (et qui se font aider pour ça). Mais pour le commun des Français ? Victor Hugo disait que la langue à ceci en commun avec le crime que de naître dans la rue. On peut assimiler les réseaux sociaux d’aujourd’hui à la rue d’autrefois. La beauté et la poésie de la langue française en souffriront-t-elles ? Le français va-t-il ressembler bientôt au Bololo ?
Le 29/09/2023
Le bracelet prodigieux
Sur la dernière page de Version Fémina, supplément gratuit d’un quotidien, on trouve une publicité pour un bracelet incroyable. Pour 24,95 € plus 7,95 € de frais d’expédition (soit près de 33 €) vous recevrez chez vous ce gris-gris doré qui vous guérira de toutes vos douleurs chroniques.
« Le bracelet ionique maintient en permanence l’ionisation de votre corps entier à son niveau optimal. Portez-le au poignet droit avec les boules vers le haut si vous souffrez de douleurs rhumatismales ou arthritiques, de tension, de nervosité, de maux de tête, de dépression, d’insomnie, de stress, d’impuissance, de douleurs musculaires, de sinusite et de fatigue.
Portez-le au poignet gauche, avec les petites boules vers le bas, si vous souffrez de douleurs menstruelles, de tachycardie, de phlébite, de varices, de problèmes circulatoires, de tendances à l’obésité, de troubles digestifs ou de constipation. »
Et si vous souffrez de tout cela achetez-en deux et faites tourner les boules !
L’ionisation est donc un remède pour toutes les douleurs et le bracelet doré la régule dans la totalité de votre corps. Rappelons que l’ionisation consiste à arracher des électrons aux atomes, qui prennent alors une charge positive (les électrons étant négatifs comme chacun sait). Elle se produit naturellement par frottement avec certains tissus. On parle alors d’électricité statique.
Ainsi donc notre bracelet supprime toutes les douleurs physiques et même psychiques. Cette publicité m’étonne moins dans un journal sérieux (les escrocs ont bien le droit à une page, surtout que celle-ci est en vis-à-vis de l’horoscope) que de savoir que des personnes sensées y croient. Si encore on évoquait une divinité quelconque, un miracle ou quelque chose d’inexplicable mais non, c’est la science qui est à l’œuvre, la mécanique quantique sans doute.
La naïveté, la crédulité sont de tous les temps. On pourrait croire que la science, la médecine avancée pourraient obvier à de telles pratiques, il n’en est rien. Il reste dans notre cerveau limbique la trace des premières croyances, quand l’homme s’en remettait aux sorciers pour remédier à tous ses maux. Incantations, drogues, pierres magiques… ça marchait quelques fois. La puissance du cerveau humain est telle qu’il peut parfois soigner le corps. C’est tout bonnement, le principe inavoué des médecines alternatives.
Moi aussi j’ai un bracelet au poignet gauche, il ne préserve pas de la maladie ni du malheur mais au moins, il me donne l’heure.
Le 28/08/2023
La salle d’attente du laboratoire est propre mais triste. Une dizaine de chaises en plastique est répartie autour de la pièce, les murs sont peints en gris. Au centre, sur une table basse, sans doute blanche à l’origine, un quotidien fatigué a été oublié. Depuis l’épidémie de Covid on n’y met plus de revues. Ici on passe échographies, radiographies, mammographies, densitomètries, etc. J’accompagne mon épouse et je patiente en attendant qu’elle revienne de son examen. La salle d’attente est séparée du bureau des secrétaires qui s’occupent des entrées, par un simple paravent en bois vernis. On entend tout ce qui se dit sans rien voir.
– Vous avez rendez-vous ?
– Oui, c’est madame L.
– Prénom ?
– Lucette.
– Adresse, numéro de téléphone, carte vitale, carte de mutuelle, carte d’identité si vous l’avez…
– J’ai pas ma carte d’identité, je ne sais pas où je l’ai fourrée. Vous voulez mon dossier ?
– Non, gardez-le. Bon, ça ne fait rien… Vous avez rendez-vous à quinze heures quarante-cinq. Vous pouvez passer dans la salle d’attente.
Je regarde ma montre il est à peine quinze heures. Nous avons déjà à un quart d’heure de retard, cette dame a donc au moins une heure d’attente devant elle. Une voix un peu casée demande les toilettes :
– Où c’est ?
– Derrière vous !
– C’est fermé.
– Occupé, il faut attendre.
C’est vrai que c’est bougrement occupé. La chasse d’eau ne cesse de retentir. L’explication m’est donnée par les messages qui défilent sur l’écran de télévision qui égaye la salle d’attente. Peu divertissants mais clairs : « pour les examens abdominaux (ventre) et pelviens (bas ventre) vous devez vous présenter la vessie pleine. Si vous ne pouvez plus tenir, vous pouvez uriner en évitant de vider complètement votre vessie, vous devrez boire un verre d’eau aussitôt après… » Un bidon d’eau douce avec des gobelets est placé à proximité.
Deux personnes âgées (pas tant que ça en fin de compte, à première vue elles ont le même âge que moi) entrent dans la salle d’attente après un dernier bruit de chasse d’eau. Je reconnais la voix de Lucette et celle de son mari qui l’accompagne (c’est lui qui a demandé les toilettes). Car ils parlent. Une espèce de babil continu qui ne tient aucun compte des personnes présentes : deux femmes d’environ quarante ans qui attendent stoïquement leurs résultats et moi-même.
Elle porte une robe fleurie asymétrique (ou peut-être qu’elle a glissé de travers tellement elle est grosse). Lui, grand et maigre, porte un jean fatigué flottant sur ses os et une chemise avec un sweat par-dessus. Elle ne s’est pas assise et se tient pliée en deux pour fouiller dans son sac, un fourre-tout noir qu’elle a posé sur la table basse. Il veille sur un grand sac en toile orange, sans doute un cadeau publicitaire, qu’il a posé à ses pieds. Lucette :
– Je ne trouve pas mon ticket de bus.
– Je t’avais dit de le ranger dans ton portefeuille.
– T’es con ! Où je l’aurais mis ?
– C’est peut-être moi qui l’ai ?
Il se met à fouiller dans son sac lui aussi. Il sort un rouleau de papier hygiénique.
– J’ai apporté le papier cul. Je t’avais bien dit que ça ne servait à rien. Y en avait dans les ouaters.
– Forcément, si on n’en avait pas apporté y en aurai pas eu.
– On est dans un laboratoire quand même.
– Tu comprends rien, t’es nul. Je t’ai expliqué cent fois : si tu n’en apportes pas y en aura pas !
– Oui je sais. J’ai trouvé mon ticket de bus…
– Qu’est-ce tu veux que ça me fasse, c’est le mien que je cherche.
– Dans ton portefeuille peut-être ?
– Ah ! Voilà, j’ai trouvé ma carte d’identité.
– Ça sert à rien, elle est périmée.
– Et toi, t’est pas périmé peut-être ?
Le mari de Lucette ne répond pas car du côté du bureau ça hausse la voix. Une secrétaire parle fort, à un vieillard probablement :
– Quelqu’un vient vous chercher ?
– Je ne sais pas.
– Vous allez où ?
– Je ne sais pas.
– Comment vous êtes venu ?
– En ambulance.
– Quelle société ?
– Je ne sais pas.
La secrétaire discute avec ses consœurs. Elle décroche le téléphone :
– Allo, les ambulances Du Gisant ? C’est vous qui nous avez convoyé Monsieur…Monsieur… On lui souffle son nom. Monsieur K. ?
Coup de chance, la réponse est positive semble-t-il.
– Il a été largué chez nous comme un paquet. Il ne sait pas où il va…
L’affaire est réglée les ambulances Du Gisant vont venir le chercher. Il y a quand même des gens responsables dans ce métier.
Lucette et son mari continuent de s’invectiver presque calmement en fouillant dans leurs sacs. Elle ne s’est pas encore assise sur sa chaise. J’apprends qu’elle vient pour une mammographie de contrôle, elle n’est pas malade. Tant mieux pour lui car elle ne doit pas être facile à soigner… mais on est capable de tout faire et subir quand on s’aime ! Il se lève pour aller faire pipi. Cassé en deux. Je pense qu’il n’a pas passé sa vie à enfiler des perles. Il louvoie aléatoirement entre la table basse et les pieds des patients qui les ramassent prestement sous leur chaise.
– Fait attention quand même ! Pourquoi tu n’as pas pris ta canne ?
Il fait de son mieux le vieux mais les encouragements acides de sa femme ont plutôt l’air de l’agacer.
Les deux femmes qui attendaient ont reçu leurs résultats et sont parties. Je suis un peu inquiet de rester seul avec Lucette mais une autre femme entre dans la salle d’attente. Plutôt jeune, vêtue d’un ensemble élégant, jupe veste vert pâle, genre DRH. Elle porte un épais dossier dans une chemise noire en maroquin (ou en plastique plus vraisemblablement), serré entre ses bras comme un bébé et tient dans une main un sac à dos de randonnée qui me semble bien lourd. Elle a peut-être apporté son fer à repasser.
Elle s’assied sans hésiter près de moi, alors qu’il y a de la place en face près de Lucette qui s’est enfin assise, bien calée sur sa chaise. Le gros dossier noir sur ses genoux, la DRH tire du sac à dos un ordinateur portable métallisé, épais comme une limande. Elle l’ouvre sur la liste de ses mails. C’est écrit trop petit, je n’arrive pas à lire. Elle non plus. Elle sort du sac une paire de lunettes loupe, tape quelques lignes et referme l’ordinateur.
On l’appelle déjà. Elle range le luxueux appareil dans le sac à dos, en tire un plaid qu’elle drape sur ses épaules (il ne fait pas chaud en ce mois de juillet à Brest), capelle le sac à dos par-dessus, serre à nouveau le gros dossier noir sur sa poitrine et se tourne vers l’accueil. J’admire au passage ses mollets secs et musclés (par le port quotidien de hauts talons je suppose).
Le dialogue entre Lucette et son mari a repris de plus belle. Je trouve qu’elle est un peu dure avec lui, pourtant il ne me paraît pas plus bête qu’elle. En tout cas, lui, il a trouvé son ticket de bus. Mon épouse revient enfin. Encore un quart d’heure pour avoir le compte-rendu et nous serons délivrés.
Quel âge ont-ils nos deux tourtereaux ? On peut les dire vieux sans les offenser. Ils ont peut-être encore cinq, dix ans à vivre en pleine conscience. Le temps de retrouver la carte de bus de Lucette.
Après… Moi pareil !
Le 30/07/2023
Horodateur
Parking de la gare SNCF de Quimper. En bon citoyen je décide de payer mon stationnement. Un robot peint en noir et gris se dresse sur le trottoir pas très loin. Il indique : en service 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Donc pas de carence ni le dimanche ni la nuit. C’est rare une telle disponibilité.
Je me suis déjà servi de ce type d’horodateur mais les robots m’impressionnent, je perds mes moyens devant la machine. Il porte plus de boutons que le visage d’un adolescent mais restons calme. Appuyer sur… pour démarrer. Je crois que c’est celui-là. Car quelqu’un s’est amusé à gratter les boutons, il faut deviner. Le combat commence. J’ai l’avantage, j’ai mémorisé mon numéro d’immatriculation. Régler la durée est plus compliqué, j’arrive enfin à afficher une heure. Je voudrais payer par carte, il faut changer d’écran et de clavier. Bon je connais encore mon code, je valide : transaction annulée. Je me suis trompé de touche. Il faut préciser qu’elles ont perdu leur couleur, elles sont toutes blanches effacées par l’ardent soleil de Quimper. Une personne attend dans mon dos. Je renonce et laisse ma place.
Je m’installe dans ma voiture et observe. C’est une jeune femme, citadine assurément, qui m’a l’air tout à fait apte à dompter le robot. Elle tapote longuement sans s’énerver même si elle a dû recommencer certaines saisies (je crois). Arrive le moment de payer et c’est l’échec. Elle retourne à sa voiture puis revient. Reprend la procédure, patiemment. La maligne, elle paye avec des pièces et ça marche !
Par chance j’ai de la monnaie dans ma poche (c’est rare mais ça arrive). Je fais face à nouveau à la machine perverse. Victoire, j’ai le droit à une heure de stationnement pour un euro cinquante. Gonflé d’orgueil, je me dirige vers les toilettes automatiques (gratuites) pour me soulager.
Je passe devant un autre horodateur, assiégé par deux hommes et deux femmes. Ils se concertent, discutent, parlent anglais. Je me réjouis, maudits Saxons, vous ne nous aurez pas (il ne s’agit que d’une place de parking cette fois). Le manipulateur est vieux, d’une pâleur inquiétante. Il se penche vers l’écran, incline la tête à droite, à gauche, sans succès semble-t-il. Ça reste écrit en français.
Les WC, la place est libre, mouillée mais pratiquement propre. Je pense que le robot des chiottes est plus compétent que celui des horodateurs. En revenant vers ma voiture je constate que l’Anglais malade est toujours penché sur son robot. En repassant devant lui un quart d’heure plus tard pour entrer dans la gare, je note qu’il est toujours là, encore vivant. Toujours en échec.
On ne comptabilise pas encore les victimes des robots et de l’intelligence artificielle. Ce sera bientôt indispensable, si nous ne voulons pas abandonner définitivement notre liberté (comme les Chinois), dirigés, notés, sanctionnés, condamnés, voire exécutés par des machines sans conscience.
Horodateur, horreur-dateur de l’avenir.