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Blog

On se noie dans la vieillesse on ne peut s'accrocher à rien

Les vieux

Le 28/08/2023

La salle d’attente du laboratoire est propre mais triste. Une dizaine de chaises en plastique est répartie autour de la pièce, les murs sont peints en gris. Au centre, sur une table basse, sans doute blanche à l’origine, un quotidien fatigué a été oublié. Depuis l’épidémie de Covid on n’y met plus de revues. Ici on passe échographies, radiographies, mammographies, densitomètries, etc. J’accompagne mon épouse et je patiente en attendant qu’elle revienne de son examen. La salle d’attente est séparée du bureau des secrétaires qui s’occupent des entrées, par un simple paravent en bois vernis. On entend tout ce qui se dit sans rien voir.

– Vous avez rendez-vous ?

– Oui, c’est madame L.

– Prénom ?

– Lucette.

– Adresse, numéro de téléphone, carte vitale, carte de mutuelle, carte d’identité si vous l’avez…

– J’ai pas ma carte d’identité, je ne sais pas où je l’ai fourrée. Vous voulez mon dossier ?

– Non, gardez-le. Bon, ça ne fait rien… Vous avez rendez-vous à quinze heures quarante-cinq. Vous pouvez passer dans la salle d’attente.

Je regarde ma montre il est à peine quinze heures. Nous avons déjà à un quart d’heure de retard, cette dame a donc au moins une heure d’attente devant elle. Une voix un peu casée demande les toilettes :

– Où c’est ?

– Derrière vous !

– C’est fermé.

– Occupé, il faut attendre.

C’est vrai que c’est bougrement occupé. La chasse d’eau ne cesse de retentir. L’explication m’est donnée par les messages qui défilent sur l’écran de télévision qui égaye la salle d’attente. Peu divertissants mais clairs : « pour les examens abdominaux (ventre) et pelviens (bas ventre) vous devez vous présenter la vessie pleine. Si vous ne pouvez plus tenir, vous pouvez uriner en évitant de vider complètement votre vessie, vous devrez boire un verre d’eau aussitôt après… » Un bidon d’eau douce avec des gobelets est placé à proximité.

Deux personnes âgées (pas tant que ça en fin de compte, à première vue elles ont le même âge que moi) entrent dans la salle d’attente après un dernier bruit de chasse d’eau. Je reconnais la voix de Lucette et celle de son mari qui l’accompagne (c’est lui qui a demandé les toilettes). Car ils parlent. Une espèce de babil continu qui ne tient aucun compte des personnes présentes : deux femmes d’environ quarante ans qui attendent stoïquement leurs résultats et moi-même.

Elle porte une robe fleurie asymétrique (ou peut-être qu’elle a glissé de travers tellement elle est grosse). Lui, grand et maigre, porte un jean fatigué flottant sur ses os et une chemise avec un sweat par-dessus. Elle ne s’est pas assise et se tient pliée en deux pour fouiller dans son sac, un fourre-tout noir qu’elle a posé sur la table basse. Il veille sur un grand sac en toile orange, sans doute un cadeau publicitaire, qu’il a posé à ses pieds. Lucette :

– Je ne trouve pas mon ticket de bus.

– Je t’avais dit de le ranger dans ton portefeuille.

– T’es con ! Où je l’aurais mis ?

– C’est peut-être moi qui l’ai ?

Il se met à fouiller dans son sac lui aussi. Il sort un rouleau de papier hygiénique.

– J’ai apporté le papier cul. Je t’avais bien dit que ça ne servait à rien. Y en avait dans les ouaters.

– Forcément, si on n’en avait pas apporté y en aurai pas eu.

– On est dans un laboratoire quand même.

– Tu comprends rien, t’es nul. Je t’ai expliqué cent fois : si tu n’en apportes pas y en aura pas !

– Oui je sais. J’ai trouvé mon ticket de bus…

– Qu’est-ce tu veux que ça me fasse, c’est le mien que je cherche.

– Dans ton portefeuille peut-être ?

– Ah ! Voilà, j’ai trouvé ma carte d’identité.

– Ça sert à rien, elle est périmée.

– Et toi, t’est pas périmé peut-être ?

Le mari de Lucette ne répond pas car du côté du bureau ça hausse la voix. Une secrétaire parle fort, à un vieillard probablement :

– Quelqu’un vient vous chercher ?

– Je ne sais pas.

– Vous allez où ?

– Je ne sais pas.

– Comment vous êtes venu ?

– En ambulance.

– Quelle société ?

– Je ne sais pas.

La secrétaire discute avec ses consœurs. Elle décroche le téléphone :

– Allo, les ambulances Du Gisant ? C’est vous qui nous avez convoyé Monsieur…Monsieur… On lui souffle son nom. Monsieur K. ?

Coup de chance, la réponse est positive semble-t-il.

– Il a été largué chez nous comme un paquet. Il ne sait pas où il va…

L’affaire est réglée les ambulances Du Gisant vont venir le chercher. Il y a quand même des gens responsables dans ce métier.

Lucette et son mari continuent de s’invectiver presque calmement en fouillant dans leurs sacs. Elle ne s’est pas encore assise sur sa chaise. J’apprends qu’elle vient pour une mammographie de contrôle, elle n’est pas malade. Tant mieux pour lui car elle ne doit pas être facile à soigner… mais on est capable de tout faire et subir quand on s’aime ! Il se lève pour aller faire pipi. Cassé en deux. Je pense qu’il n’a pas passé sa vie à enfiler des perles. Il louvoie aléatoirement entre la table basse et les pieds des patients qui les ramassent prestement sous leur chaise.

– Fait attention quand même ! Pourquoi tu n’as pas pris ta canne ?

Il fait de son mieux le vieux mais les encouragements acides de sa femme ont plutôt l’air de l’agacer.

Les deux femmes qui attendaient ont reçu leurs résultats et sont parties. Je suis un peu inquiet de rester seul avec Lucette mais une autre femme entre dans la salle d’attente. Plutôt jeune, vêtue d’un ensemble élégant, jupe veste vert pâle, genre DRH. Elle porte un épais dossier dans une chemise noire en maroquin (ou en plastique plus vraisemblablement), serré entre ses bras comme un bébé et tient dans une main un sac à dos de randonnée qui me semble bien lourd. Elle a peut-être apporté son fer à repasser.

Elle s’assied sans hésiter près de moi, alors qu’il y a de la place en face près de Lucette qui s’est enfin assise, bien calée sur sa chaise. Le gros dossier noir sur ses genoux, la DRH tire du sac à dos un ordinateur portable métallisé, épais comme une limande. Elle l’ouvre sur la liste de ses mails. C’est écrit trop petit, je n’arrive pas à lire. Elle non plus. Elle sort du sac une paire de lunettes loupe, tape quelques lignes et referme l’ordinateur.

On l’appelle déjà. Elle range le luxueux appareil dans le sac à dos, en tire un plaid qu’elle drape sur ses épaules (il ne fait pas chaud en ce mois de juillet à Brest), capelle le sac à dos par-dessus, serre à nouveau le gros dossier noir sur sa poitrine et se tourne vers l’accueil. J’admire au passage ses mollets secs et musclés (par le port quotidien de hauts talons je suppose).

Le dialogue entre Lucette et son mari a repris de plus belle. Je trouve qu’elle est un peu dure avec lui, pourtant il ne me paraît pas plus bête qu’elle. En tout cas, lui, il a trouvé son ticket de bus. Mon épouse revient enfin. Encore un quart d’heure pour avoir le compte-rendu et nous serons délivrés.

Quel âge ont-ils nos deux tourtereaux ? On peut les dire vieux sans les offenser. Ils ont peut-être encore cinq, dix ans à vivre en pleine conscience. Le temps de retrouver la carte de bus de Lucette.

Après… Moi pareil !

       

                                   

Le supplice des horodateurs

Horodateur

Le 30/07/2023

Horodateur

Parking de la gare SNCF de Quimper. En bon citoyen je décide de payer mon stationnement. Un robot peint en noir et gris se dresse sur le trottoir pas très loin. Il indique : en service 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Donc pas de carence ni le dimanche ni la nuit. C’est rare une telle disponibilité. 

 Je me suis déjà servi de ce type d’horodateur mais les robots m’impressionnent, je perds mes moyens devant la machine. Il porte plus de boutons que le visage d’un adolescent mais restons calme. Appuyer sur… pour démarrer. Je crois que c’est celui-là. Car quelqu’un s’est amusé  à gratter les boutons, il faut deviner. Le combat commence. J’ai l’avantage, j’ai mémorisé mon numéro d’immatriculation. Régler la durée est plus compliqué, j’arrive enfin à afficher une heure. Je voudrais payer par carte, il faut changer d’écran et de clavier. Bon je connais encore mon code, je valide : transaction annulée. Je me suis trompé de touche. Il faut préciser qu’elles ont perdu leur couleur, elles sont toutes blanches effacées par l’ardent soleil de Quimper. Une personne attend dans mon dos. Je renonce et laisse ma place.

Je m’installe dans ma voiture et observe. C’est une jeune femme, citadine assurément, qui m’a l’air tout à fait apte à dompter le robot. Elle tapote longuement sans s’énerver même si elle a dû recommencer certaines saisies (je crois). Arrive le moment de payer et c’est l’échec. Elle retourne à sa voiture puis revient. Reprend la procédure, patiemment. La maligne, elle paye avec des pièces et ça marche !

Par chance j’ai de la monnaie dans ma poche (c’est rare mais ça arrive). Je fais face à nouveau à la machine perverse. Victoire, j’ai le droit à une heure de stationnement pour un euro cinquante. Gonflé d’orgueil, je me dirige vers les toilettes automatiques (gratuites) pour me soulager.

Je passe devant un autre horodateur, assiégé par deux hommes et deux femmes. Ils se concertent, discutent, parlent anglais. Je me réjouis, maudits Saxons, vous ne nous aurez pas (il ne s’agit que d’une place de parking cette fois). Le manipulateur est vieux, d’une pâleur inquiétante. Il se penche vers l’écran, incline la tête à droite, à gauche, sans succès semble-t-il. Ça reste écrit en français.   

Les WC, la place est libre, mouillée mais pratiquement propre. Je pense que le robot des chiottes est plus compétent que celui des horodateurs. En revenant vers ma voiture je constate que l’Anglais malade est toujours penché sur son robot. En repassant devant lui un quart d’heure plus tard pour entrer dans la gare, je note qu’il est toujours là, encore vivant. Toujours en échec.

On ne comptabilise pas encore les victimes des robots et de l’intelligence artificielle. Ce sera bientôt indispensable, si nous ne voulons pas abandonner définitivement notre liberté (comme les Chinois),  dirigés, notés, sanctionnés, condamnés, voire exécutés par des machines sans conscience.

Horodateur, horreur-dateur de l’avenir.                 

Vive les vacances mais c'est fatigant. Le voyage est impératif.

Vive les vacances !

Le 03/07/2023

Vive les vacances !

Enfin ! Les bagages bouclés, tous divertissements programmés, la voiture bourrée de bagages et de gosses, nous partons, ivres d’un rêve homérique et viral. La voiture inquiète, sur le parking surchauffé de l’aéroport, attendra notre retour.

L’avion. Traités comme des terroristes ou des émigrés mais avec le sourire, nous partons pour l’au-delà des mers visiter la misère ou l’opulence sous des climats pénibles. L’attente au sol est interminable, on a envie de se laisser tomber par terre et de dormir. 

L’hôtel ou le logis est bien, ne manquent que la tranquillité et le confort du chez-soi. Puis il faut visiter, faire la queue, affronter la cohue et payer (c’était prévu mais quand même…). Les paysages sont un peu décevants en couleurs réelles, bien moins beaux qu’à la télévision. Il faudrait un drone pour mieux voir. On s’extasie quand même.

Les autochtones sont souriants, gentils mais il  reste à supporter les touristes : les vieillards exigeants, les ivrognes de l’open bar, les raseurs savants, ceux qui ont déjà fait ceci ou cela, plus loin, plus beau, moins cher, les jeunes explosifs, les familles en guerre, les enfants insupportables…

Et toujours des incidents, voire des accidents (si le sang coule). Tout était prévu pourtant dans la trousse à pharmacie, les pansements, un antiseptique, du paracétamol, de l’imodium, (le smecta c’est bien aussi), la crème contre le soleil, une pommade pour les piqûres, de l’arnica, des préservatifs…

Le gecko qui se balade dans la chambre trouble les ébats nocturnes, les moustiques tigres (ça fait peur !) s’invitent à la fête. Heureusement qu’il n’y a pas de serpents venimeux, de mygales, de scorpions (qu’on nous a dit). On y pense tout de même. Il reste les punaises de lit, qu’on espère ne pas ramener à la maison.

Tout se termine bien, on a rendu la voiture de location juste avant qu’elle ne rende l’âme à la divinité des citrouilles. Habilement, les invitations des amis de circonstance ont été déclinées et nos propositions de rencontres reportées dans la brume hivernale. On se reverra dit-on, en espérant le contraire. La dengue, la dysenterie, le chikungunya, le paludisme (qui peut avoir des effets différés) nous ont été heureusement épargnés, croit-on.

La voiture est toujours dans le parking. Il n’y a guère de place pour loger les souvenirs et les cadeaux qu’on ramène comme témoins de nos aventures et dont les chanceux bénéficiaires ne sauront que faire. La panoplie Massaï, bouclier et sagaies, prend beaucoup de place. Elle finira au garage.  

Retour à la maison, le voisin a arrosé les plantes, elles ne sont pas toutes mortes mais il a mis de l’eau partout. Le chien qu’on vient de sortir de prison fait un peu la gueule, il n’aime pas beaucoup les vacances. Le pauvre s’est fait une extinction de voix à force d’aboyer au chenil.

Il va falloir caser les enfants en attendant qu’ils reprennent l’école. Le travail nous attend, on ne peut pas être tous retraités.

Reste le plus important : raconter ses vacances, photos et vidéos à l’appui. On n’a pas fait tout ça pour rien ! Et tant pis si ça ennuie tout le monde.

Si vous avez lu ce billet jusqu’ici, sachez que je n’ai rien contre le tourisme. Je le pratique moi-même. En évitant les périodes et les endroits surpeuplés. Le tourisme de masse est une plaie. Comment faire comprendre aux gens qu’ils seraient bien plus heureux au calme, sous un climat raisonnable, à ne rien faire d’autre qu’à se faire plaisir. On s’enrichit bien plus en lisant un bon livre, qu’en un quart d’heure de Taj Mahal.

J’oubliais le bilan carbone, heureusement qu’on se donne une dérogation pour les vacances !                   

Deux Simone, pour l'une la gloire pour l'autre le sacrifice

Les deux Simone

Le 10/06/2023

Simone Veil et Simone Weil

                 Quand on parle de Simone Veil, on pense à la ministre qui a porté la loi dépénalisant l’IVG, à la première présidente du Parlement européen, à l’académicienne, à la femme entrée au Panthéon à peine un an après sa mort (avec son mari). Cependant une autre Simone (1909-1943), dont le nom se prononce de la même façon, est parfois évoquée par des journalistes qui se piquent de culture  philosophique : Simone Weil. Elle est du genre inconnue célèbre.

Les deux Simone homophones n’ont rien en commun si ce n’est sans doute une intelligence supérieure, un courage et une volonté sans faille. Elles sont juives toutes deux, nées dans des familles peu religieuses.  Simone V. (née Jacob) est forte et survit à sa déportation à Auschwitz. Simone W. est fragile et s’épuise physiquement dans sa quête d’absolu. Elle meurt à 34 ans, rongée par les travaux et les privations qu’elle s’est imposés. Simone V. finit sa vie à 89 ans en 2017 entourée des siens (elle a perdu son mari quatre ans plus tôt).

Simone W. sort de l’École Normale Supérieure avec une agrégation de philosophie. Enseigner et écrire ne lui suffit pas. Elle croit que de participer à la souffrance des autres va contribuer à les soulager. Elle travaille en usine, à la chaîne chez Renault, dans les champs mais sa faible constitution ne lui permet jamais de persévérer. Elle veut aussi se battre et rejoint les républicains espagnols. La cruauté des deux camps lui est insupportable. Les massacres n’entrent pas dans le champ de sa philosophie. Elle gagne l’Angleterre pour s’engager dans la France libre. De Gaulle ne veut pas lui confier de mission en pays occupé, elle n’en aurait pas la force. Elle meurt d’une crise cardiaque à Londres en 1943. C’est une sainte chrétienne (car elle a rencontré Jésus).

  Son œuvre philosophique faisait l’admiration d’Albert Camus zélateur de l’absurde. Son maître en philosophie, Allain disait : « Qu’est-ce qu’une idée à laquelle on ne pense pas ». Voilà de quoi alimenter les épreuves de philo du bac pour un siècle. La plupart des philosophes ou moralistes n’appliquent pas leurs théories sur eux-mêmes (La Fontaine, Jean-Jacques Rousseau, Sartre…) mais certains (Diogène, Socrate, Foucault…) prétendent suivre une discipline de vie en conformité avec leurs idées, démontrant par là même leur absurdité. Simone Weil est de cette étoffe dont on fait les martyrs.

La vie, la carrière et l’œuvre de Simone Veil est plus populaire. Elle apparaît comme une icône de la cause des femmes, réputation peut-être pas aussi justifiée que l’on croit en général. Animal politique de la droite progressiste, elle a su mener une carrière brillante auprès d’hommes, que le féminisme intégriste d’aujourd’hui n’aurait sans doute pas appréciés. Bourgeoise, belle, élégante, épouse aimante, mère et grand-mère affectueuse, elle a su vivre. À l’inverse de Simone Weil, torturée par ses théories fumeuses jusqu’à la mort. Simone (encore une) de Beauvoir disait : « Elle m’intriguait à cause de sa réputation d’intelligence et de son accoutrement bizarre… »    

 

La servante écarlate rappelle Ravage en moins sanglant

La robe rouge

Le 05/05/2023

La robe rouge

 J’ai lu « La servante écarlate » de Margaret Atwood, au programme du bac cette année. Ça m’a remis en mémoire une autre dystopie (le contraire d’une utopie) bien plus ancienne : « Ravage » de René Barjavel. Curieusement, dans les sociétés décrites dans ces deux livres, certaines femmes sont tenues de porter une robe rouge.

Margaret Atwood publie son roman en 1985, elle y met en scène à peu près toutes les horreurs dont sont capables les sociétés totalitaires : les pendaisons en groupe, les enfants volés, l’interdiction de l’apprentissage de la lecture, la restriction du droit à la propriété, la captation des biens par la classe dirigeante et la transgression par celle-ci des règles qu’elle impose au vulgum pecus. Dieu cautionne l’oppression. Et la guerre reste indispensable.

Dans le roman de Margaret Atwood les femmes ne sont pas toutes des servantes en robe rouge destinées à la procréation, elles participent à tous les niveaux du pouvoir, mais à titre décoratif semble-t-il, comme la femme du « Commandant ». La servante écarlate n’est rien d’autre qu’une mère porteuse. Elle est fécondée par le mari, couchée entre les cuisses de l’épouse stérile et elle accouche entre ses jambes sur une « Chaise d’accouchement ». Déjà dans la Bible, après Sarah, Rachel (La Genèse 30 1-3) : « Rachel dit à Jacob : “Fais-moi avoir aussi des enfants ou je meurs ! […] Voici ma servante Bilha. Va vers elle et qu’elle enfante sur mes genoux, par elle j’aurai moi aussi des enfants”. »        

Il faut se souvenir que Barjavel écrit « Ravage » en 1942 en pleine guerre mondiale. La quasi-totalité du roman décrit une suite de massacres, de destructions et d’incendies. Le héros, François, tue sans état d’âme à coups de hache, le veilleur qui s’est endormi, mettant ses compagnons en danger. C’est lui qui fonde la société d’après-guerre. Les hommes décimés sont quatre fois moins nombreux que les femmes. Il faut vite faire des enfants. À cent-vingt-neuf ans il remplace sa septième femme par une fillette de dix-huit ans qui quelques mois plus tard, revêt la robe rouge des femmes enceintes.

François règne sur la région Alpes-côte d’Azur. Il impose la polygamie. « Les plus mous [des hommes] durent acquérir du caractère pour faire régner la paix entre leurs femmes. » Le chef lui, honore une de ses épouses chaque jour, la préférée passe le dimanche, la plus moche « se rase la moustache le vendredi » (jour de pénitence ?). Il limite le droit de propriété en interdisant à un homme de posséder plus de terre qu’il n’en puisse faire le tour à pied en une journée (la plus longue de l’été quand même).Tous les livres sont brûlés (sauf les livres de poésie) et seuls les chefs de village sauront écrire. Le père choisit l’époux de sa fille pour créer « une race de maîtres ». Le machinisme honni est proscrit dans tous les domaines (Barjavel le considère comme la cause de tous les maux, un de des fils de François paiera de sa vie d’avoir construit une espèce d’automobile).

Margaret Atwood en 1985 dénonce le totalitarisme machiste qui persiste dans nos sociétés et qui risque toujours de s’imposer sous la pression des hommes, avec la complicité des religions. Barjavel préfère la paix de la dictature des mâles aux massacres de la guerre. Le patriarche règne avec l’aide de Dieu. Travail et famille, il ne manque plus que la patrie pour que le maréchal Pétain soit totalement satisfait. L’important c’est de faire des enfants. Il y a probablement quelque ironie sournoise dans « Ravage ». Barjavel n’aurait pas pu décrire un monde libertaire né de la guerre. Il aurait surement été censuré.

La robe rouge dans beaucoup de civilisations est la robe de mariée. Les symboles qui s’attachent au rouge sont bien trop nombreux, aussi je m’arrêterai là.                   

Pendant la Terreur à Brest, le courage d'un charcutier.

Le jour de gloire du charcutier Lauverjat

Le 07/04/2023

Le jour de gloire du charcutier Lauverjat

Extrait du livre “Terreur à Brest, Jean-Nicolas Trouille et la Révolution”

Le 27 novembre 1791 un attroupement de plusieurs centaines de personnes, principalement des marins, se produit devant l’hôtel où déjeune M. André de la Jaille, capitaine de vaisseau. La veille, à la Société des amis de la constitution, nous avions décidé que cet homme, considéré comme un ennemi de la Révolution, ne devait pas prendre le commandement du Dugay-Trouin, navire à destination de Saint-Domingue. Il est sans doute renvoyé aux Antilles pour y opérer la contre-révolution. L’information venait des marins du Léopard qui rapportaient que l’officier avait rétabli l’ordre à Port-au-Prince en 1790. C’est un scélérat qui a fait rougir des boulets pour tirer sur les patriotes.

 Les manifestants menés par le capitaine d’infanterie de marine Roffin, entrent dans l’hôtel, se pressent autour de La Jaille, lui signifient qu’il ne commandera plus aucun navire et le somment de quitter Brest immédiatement. La Jaille lève sa fourchette et répond qu’il le fera quand il aura fini de déjeuner. Il est hué, bousculé. Bien obligé de sortir, il se dirige vers la porte de Landerneau, pressé par une foule de plus en plus nombreuse. Il parvient quand même au relais de poste et monte en selle. Mais les sans-culottes le font descendre de cheval et le ramènent en ville. Poussé, tiré, on lui met le couteau sous la gorge, on lacère ses vêtements en entaillant la peau. Le malheureux se débat comme il peut.

Une mégère dépoitraillée avise un dragon qui regarde la scène bêtement sans réagir. Elle lui arrache son sabre et le présente au charcutier Lauverjat. On est devant sa boutique. Elle pense sans doute qu’un charcutier sera plus qualifié qu’elle, pour saigner et débiter en morceaux, un cochon d’aristocrate. Lauverjat saisit le sabre mais au lieu de s’attaquer à La Jaille, il se tourne vers la foule et s’écrie : « Vous êtes des scélérats ! Le premier qui approche, je l’embroche comme un poulet. » Le charcutier est cerné par les manifestants et il aurait rapidement succombé malgré sa corpulence et sa force, si je n’étais arrivé [c'est Trouille qui parle], accompagné du marchand de vin Prigent, du sellier Plessis, du caporal Tulpin et du sous-côme Biozon.

Nous mettons la Jaille en sureté au poste de garde de la porte de Landerneau, sous les insultes et hurlements des sans-culottes. La municipalité enfin prévenue, décide d’enfermer André de la Jaille au château. Son transfert n’est pas sans risques, il faut descendre toute la rue de Siam. Mollement défendu par la Garde nationale, c’est les habits littéralement en loques qu’il est poussé dans une cellule infecte. Il y restera cinq jours. Libéré il va se réfugier dans son manoir du Roual en Lannilis, d’où il écrit un plaidoyer à la Société des amis de la constitution de Paris, dont il fait partie depuis le premier jour. L’aurait-on su, il n’est pas sûr que les sans-culottes brestois lui eussent réservé un meilleur sort. À l’assemblée, les députés de Brest déclarent que : « l’insigne aristocrate ne l’a que trop mérité ».

Le roi n’est pas de cet avis. Il m’écrit le 28 février 1792 :

« Vous avez, Monsieur, courageusement défendu et puissamment concouru à sauver la vie d’un citoyen, le 27 novembre dernier à Brest.

J’ai pensé qu’un tel acte de civisme et de valeur ne devait pas rester sans récompense.

Je vous donne une médaille d’or, sur laquelle j’ai fait graver une inscription, qui rappelle la belle action que vous avez faite. Soyez toujours fidèle à la nation, à la loi et au Roi.

Signé : Louis »

Le Conseil général de la commune de Brest organise la cérémonie de remise des médailles aux récipiendaires (ceux que j’ai cités plus haut), les administrateurs du directoire du district et le procureur syndic sont invités. Après lecture des lettres du roi, le maire nous présente les médailles. Unanimement nous les refusons malgré l’insistance du conseil.

Lauverjat lui, accepte la récompense. Mandé à Paris il reçoit des propres mains du roi un sabre d’honneur et une médaille d’or sur laquelle est gravé : « Pour avoir courageusement défendu et sauvé la vie d’un citoyen le 27 nov. 1791 à Brest. » Quant à André de la Jaille, dégoûté de la Révolution, il émigrera peu après.

On peut noter que le portrait de la médaille n’est guère flatteur et qu’il est mentionné roi des Français et non pas roi de France. Nous sommes en novembre 1791, le roi vient d’accepter la nouvelle constitution et reprend ses fonctions après son arrestation à Varennes.

L'eau est un solvant universel, indispensable et symbolique

L'eau

Le 10/03/2023

L’eau

Quoi de plus banal que l’eau ? Même si elle fait l’actualité régulièrement à cause d’une probable sécheresse durable en France, il ne s’agit que d’un liquide incolore, inodore et sans saveur omniprésent, qui nécessite un parapluie quand il pleut. L’eau est pourtant un liquide extraordinaire.

Physiquement d’abord, l’eau détient le record de chaleur spécifique pour un liquide  c’est-à-dire qu’il faut plus de chaleur pour faire bouillir de l’eau que pour tout autre liquide (si on excepte le mercure, lui aussi extraordinaire puisque c’est le seul métal liquide à température ambiante). Ça n’étonne personne de voir la glace flotter et pourtant cela résulte d’une anomalie. L’eau solidifiée est moins dense que l’eau liquide, ce qui ne se produit pour aucun autre corps. Dans le cas contraire la glace coulerait et les océans polaires seraient entièrement transformés en glace. La densité maximum de l’eau (douce) se trouve à plus quatre degrés, si bien qu’elle ne peut geler en profondeur (pour l’eau de mer c’est un peu différent mais le résultat est le même). Si l’anomalie de densité n’existait pas le climat serait totalement différent et la vie serait peut-être absente sur la terre.

L’eau est un solvant universel. Dans la mer, pratiquement tous les éléments chimiques sont présents en solution, pour beaucoup en faible proportion. En extraire de l’or comme ça déjà été tenté à Guernesey est une utopie, pourtant l’or est bien présent. D’autres métaux se retrouvent en concrétion au fond de la mer mais l’exploitation des nodules métalliques se révèle assez problématique.

Sur terre l’eau se trouve partout, même en plein Sahara l’humidité peut provoquer de la gelée blanche le matin. À Toulon sous le cagnard, le gosier sec, l’air peut être à 90% d’humidité, la sueur perle au moindre effort ! Ce qui n’est pas le cas à Brest (sauf pour le gosier). Cependant l’eau douce est rare, rivières, lacs et glaces ne représentent que 0,02 % de l’eau de surface. Il faut aller la chercher dans les nappes phréatiques à des profondeurs pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de mètres. Les nappes aquifères sont plus profondes encore. Enfin dans le manteau terrestre, entre 500 et 600 km de profondeur on trouve une couche de roches contenant une quantité d’eau considérable, comparable aux océans de surface. La planète bleue est gorgée d’eau. Les êtres vivants aussi.

L’eau est présente partout dans l’univers, généralement sous forme de glace. On en trouve sur la Lune, sur Mars, sur les astéroïdes. Il y a même un océan liquide sur Encelade satellite de Saturne, sous une couche de glace de 20 km d’épaisseur ainsi que sur Europe et Ganymède satellites de Jupiter, également sous une croute de glace très épaisse. On ne sait pas encore si la vie peuple ses eaux.

L’apparition de la vie sur terre est très probablement liée à la présence d’eau. Et sans eau, pas de vie possible. Les anciens l’ont bien compris qui font du titan Océan, un des premier et des plus puissants dieux. Le frère de Zeus, Poséidon dieu de la mer, exerce son hubris sur les eaux et la terre, provoquant tremblements de terre et tempêtes terrifiantes.

L’eau est aussi un solvant du péché originel puisqu’elle permet de s’en laver par le baptême. Saint Jean Celui qui a vu raconte : « Arrivés à Jésus ils le trouvèrent mort ; ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et aussitôt il sortit du sang et de l’eau… » (19 33) Le sang atteste du sacrifice du Christ et l’eau, symbole de l’Esprit, sa fécondité spirituelle. Dans le sang les chrétiens reconnaissent l’eucharistie et dans l’eau le baptême, l’eau lustrale.

L’eau lustrale, l’eau qui purifie, n’est-ce pas là sa meilleure définition ? Et une bonne raison pour la garder propre. Ne pissons pas dans le bénitier !

L'infini est partout pourtant il n'existe pas est-ce Dieu ?

De l'infini

Le 16/02/2023

De l’infini

L’infini n’existe pas dans la nature (tout au plus peut-on parler de singularité dans les équations d’Einstein quand il arrive à une solution infinie qu’il sait bien irrecevable). Le signe représentant l’infini en mathématiques est un huit couché () qu’on peut assimiler à l’anneau de Möbius, surface à une dimension qui n’a qu’un seul bord. L’infini marque l’échec de la connaissance, que ce soit dans l’infiniment grand comme dans l’infiniment petit. Il est pourtant bien pratique en mathématiques.

Et pourtant l’infini est partout. En Dieu bien sûr, infiniment bon, infiniment aimable… Dans la durée perçue, infiniment démesurée dans la souffrance, fugace dans le bonheur. Quant à la mort, on pourrait dire que c’est l’asymptote de la vie, repoussée à l’infini puisque personne ne vit sa mort (sauf ceux qui ont vécu une expérience de mort imminente).

L’univers ne peut être infiniment grand puisque rien ne l’est dans le monde matériel. L’univers observable est borné par l’expansion, quand celle-ci atteint la vitesse de la lumière aucune information ne peut plus nous parvenir. Cependant il n’y a pas de raison pour qu’il ne s’étende pas plus loin. On en restera aux spéculations sur sa taille, à moins d’un progrès décisif sur sa nature globale. Un univers fermé par exemple, qui se replie sur lui-même à l’image de l’anneau de Möbius mais on échoue encore à mesurer sa courbure, si elle existe.

Nous butons également sur l’infiniment petit. Les atomes mesurent un dixième de milliardième de mètre (10-10m). Leur noyau constitué de neutrons et de protons, est dix mille fois plus petit (10-14 m). Ceux-ci encore dix fois plus petits, sont constitués de quarks au moins mille fois plus petit que les protons (10-18 m) mais leur taille est hypothétique, de même que celle des électrons. Il se pourrait que quark et électrons soient ponctuels. La physique quantique est si étrange que quelque chose qui n’existe pas (le point matériel) pourrait bien exister quand même (comme le chat de Schrödinger mort et vivant à la fois). Nous voilà ramenés à l’infini mystérieux encore hors de portée de nos mesures, limitées actuellement au niveau du milliardième de milliardième de mètre.

Pourquoi l’infini nous préoccupe-t-il tellement (je parle pour moi) ? Parce qu’il est en nous. Non que l’intelligence soit infinie, elle a ses limites mais sa production, les idées, n’ont pas de limite. Dieu est né ainsi. « Le Dieu de la nature est le Dieu des Français » dit une chanson révolutionnaire à la gloire de l’Être suprême, régression des idées divines proche de l’animisme primitif. Infini de l’âme éternelle.

En fin de compte l’infini existe parce que nous pouvons le concevoir, tout comme bien des choses qui n’existent pas, les licornes ou la paix dans le monde.