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Le 19/07/2021
Nos cimetières semblent abandonnés. Les mauvaises herbes poussent entre les tombes (pardon, je ne voudrais pas stigmatiser les herbes qu’on dit mauvaises, nous devons respecter la nature). Au cimetière de Lambé (Lambézellec à Brest), la porte ouest n’a pas été nettoyée depuis des années, l’eau du robinet tout proche, coule dans le passage et l’herbe pousse sous la grille. À la tristesse des lieux s’ajoute un sentiment de délaissement.
Le refus des pesticides, louable en soi, a conduit à enherber certains cimetières. Comme la disposition des tombes ne s’y prête guère, la tonte de l’herbe et la coupe des bordures sont laborieuses. À chaque entretien, les monuments et les fleurs sont couverts de terre et de débris végétaux très difficile à éliminer. Bref, tout est sale.
Certaines mairies demandent aux citoyens de nettoyer les cimetières ou au moins leur propre concession. Si c’est impossible pour les tombes abandonnées ou rarement visitées car trop anciennes, le recueillement qui s’impose à la mémoire des défunts ne s’oppose évidemment pas à une petite séance de jardinage. Mais demander aux citoyens de se constituer en commando pour nettoyer leur cimetière, s’apparente aux corvées moyenâgeuses (sauf qu’elles ne sont plus obligatoires). Il serait plus judicieux d’y coller les condamnés à des travaux d’intérêt général ou des prisonniers qui seraient ravis de prendre l’air et de se sentir un peu utiles (pour les volontaires évidemment, nous ne sommes plus au temps des travaux forcés).
L’entretien des cimetières est un service public et comme tout service public, il n’a pas vocation à être rentable (il semble que ce principe, pourtant fondamental, est remis en cause à tous les niveaux de gouvernance, depuis l’Europe jusqu’aux mairies). Le respect dû à nos morts n’a pas de prix, il s’apparente à la morale, aux sentiments, à la cohésion sociale aussi.
On ne peut pas parler de culte des morts en Bretagne. Nos ancêtres n’étaient pas meilleurs que nous, il n’y donc pas de raison de leur élever des autels, mais nos cimetières étaient généralement bien tenus. Cependant, pour les défunts qu’on a connus, il nous reste des souvenirs et c’est aussi à nous-même que nous pensons, en nous recueillant sur leur tombe (qui sera peut-être un jour la nôtre). Les oublier, c’est oublier une partie de notre vie, bonne ou mauvaise, qui nous a fait ce que nous sommes. Respecter nos morts c’est se respecter soi-même. Ce n’est pas toujours aussi facile que d’arracher quelques mauvaises herbes.
Nos ronds-points richement plantés et décorés par les jardiniers municipaux, sont bien mieux lotis que nos cimetières. Auraient-ils peur des fantômes qu’ils n’y mettent pas les pieds ? Je suggère finalement que nous enterrions nos morts sur les ronds-points. Ainsi fleuris, nos défunts seraient enfin justement honorés. Et bientôt, grâce aux voitures électriques, ils n’auraient même pas à souffrir des gaz d’échappement.
Le 20/06/2021
Encore un verbe d’usage courant, non pas dévié de son sens premier, mais utilisé abusivement. « Voilà les vacances, je vais bien profiter de mes petits-enfants.»
Profiter : tirer un avantage matériel ou moral de… (Larousse 2011) Ou encore : tirer un gain ou de l’avantage de quelque chose // rapporter du profit // servir, être utile //faire des progrès // se dit de la nourriture dont le corps tire avantage… (Littré)
Profiteur, euse : personne qui cherche à tirer un profit ou un avantage abusif de toute chose, notamment du travail d’autrui (Larousse 2011). Ou celui ou celle qui tire profit de la peine ou du travail des autres, péjoratif (Littré).
De ces deux définitions, il s’en suit que n’est pas obligatoirement un profiteur, celui qui profite de quelque chose. Sauf si ce profit est abusif. Il ne serait donc pas immoral de profiter de ses petits-enfants. Cependant la formule est douteuse.
« Je vais en vacances à Cherbourg, pour bien profiter du soleil ! » Même si c’est difficile à Cherbourg, profiter du soleil n’est pas abusif. Le verbe profiter est donc idoine dans ce cas. Quand on dit : « Je vais profiter de ma belle-mère cet été » on ne pense pas au plaisir qu’on va tirer de son physique avantageux, de sa présence envahissante et de sa conversation acide, mais bien à lui soutirer des avantages ou de l’argent, en authentique profiteur.
Mais profiter des enfants, des amis, des circonstances, induit un biais. Qui profite ? Je profite, car l’amour, l’admiration, les attentions, les cadeaux, etc. sont pour moi. Est-il question que j’apporte quelque chose ? Non, tout est pour moi. Je peux donner en retour l’équivalent de ce que je reçois, mais ce n’est pas dit dans la formule : je profite.
Ne soyons pas pessimiste, nous ne sommes pas profiteurs pour autant. Dans le cours de l’histoire, les exemples d’altruisme sont constants et l’époque actuelle ne semble pas plus égoïste qu’une autre. Cependant notre niveau de richesse est inégalé, du moins si on considère les biens matériels et les moyens de jouissance dont nous disposons. Et plus de richesses pour les uns, c’est plus de misères pour les autres (par comparaison, il ne me suffit pas d’être heureux, encore faut-il que les autres ne le soient pas plus que nous). On ne désire que ce qu’on n’a pas.
Vous n’avez rien vous marchez, vous disposez d’une bicyclette vous pédalez, d’une voiture vous voyagez, d’un avion vous polluez… Plus on en a, plus on en veut. Ça ne fait de torts à personne (sauf à la planète comme disent les jeunes). Mais ce n’est peut-être pas le but de la vie, de jouir de tout ce que la civilisation nous offre, presque sans mesure (quand nous serons débarrassés du méchant virus).
Profitons moins, vivons la vraie vie. Pas celle de l’amour virtuel, des paroles vides ou des vidéos rigolotes sur les réseaux sociaux. Ni celle d’une piscine à Bali. Est-ce possible ? Non, je ne crois pas. Le progrès moral n’existe que dans les rêves des philosophes ou les mensonges des politiques. L’homme demeurera toujours un loup pour l’homme. J’en suis un moi-même… Hou ! Hou ! Hou !
Le 19/05/2021
Qu’est-ce qu’une idée à laquelle on ne pense pas ? (Alain) Comment un de nos plus grands philosophe contemporain peut-il proférer une telle sottise ? Je plains sincèrement les élèves de terminale qui seront jugés pour une large part sur leurs prestations philosophiques. À l’oral qui plus est. Mort aux timides et bafouilleurs !
Mais qu’est-ce qu’une idée à laquelle on pense ? Alain ne répond pas. Une idée c’est une petite lumière qui s’allume dans notre cerveau (on la figure par une lampe électrique dans les dessins de presse). Tout s’éclaire et soudain, nous savons ce que nous avons à faire. Eureka ! s’écrie Archimède dans son bain, quand il voit son sexe se dresser mollement comme une algue dans la mer. Il en déduit que : « Tout corps plongé dans un liquide reçoit de la part de ce liquide, une poussée verticale de bas en haut égale au poids du liquide déplacé. »
Tout le monde n’a pas de baignoire, on peut simplement avoir l’idée d’acheter une pizza pour éviter d’avoir à faire à manger. L’idée est l’amorce d’une réalisation, si elle se concrétise. Curieusement mises au pluriel, les idées, n’ont plus la même signification. On se fait des idées, c’est-à-dire qu’on imagine des choses qui ne sont pas. L’inverse en fait, d’une bonne idée.
Mais il y a d’autres idées qui n’en sont pas, comme par exemple les idées des hommes politiques, ce qu’ils nomment des convictions. Mot honnête pour dire des croyances, qu’ils n’ont aucun moyen de prouver avant de se trouver au pouvoir, en situation alors de ne pas pouvoir (ou de ne plus vouloir) les appliquer. Mais n’accablons pas les politiques, nous avons ceux qui nous ressemblent, ou du moins, nous représentent.
Mis à part les idées géniales qui conduisent à des inventions, que reste-t-il de nos idées ? Je ne parle pas du fonctionnement normal du cerveau qui nous fait bouger bras et jambes en fonction d’un but plus ou moins bien explicité, mais des idées qui germent en permanence dans nos têtes. On pourrait comparer cette agitation, au bouillonnement du vide mis en évidence par la mécanique quantique. Une énergie énorme qui au total, ne produit rien. Sauf le néant, s’il existe. Néant qu’on pourrait traduire aussi par idées noires. Noir, symbole de la mort.
Seul le poète qui laisse à sa plume la bride sur le cou (Mme de Sévigné) ou pratique l’écriture automatique (André Breton), met sur le papier les idées confuses, bizarres, interdites parfois par la raison, qui s’entrechoquent dans son cerveau en produisant des feux d’artifices, explosions de beauté artificielle sans signification propre. Le vrai poète (pourquoi dit-on vrai, y en aurait-il des faux ?) fait appel à l’envers du décor. Il voit le derrière des acteurs et la face des spectateurs. Peu importe la pièce, tout le monde la connaît, seule l’émotion compte. De là nait la surprise, l’originalité. L’humanité.
Le philosophe est tout le contraire du poète. Il est dans la salle et observe la pièce. Il critique, ne rit pas. Il plaque ses idées, son opinion, sur ce qu’il croit voir. Il s’imagine plus intelligent que l’auteur. Et si la pièce est le théâtre du monde, le philosophe n’en voit qu’un coin minuscule du haut de ses prétentions, de ses préjugés (il est au balcon derrière une colonne). Lui pense, les autres agissent. Mal évidemment. Il n’a pour lui que ses idées, autrement-dit rien, le néant. Car il se garde bien de les appliquer pour lui-même (à de rare exceptions près, qui se terminent souvent très mal)
Les grands hommes n’ont qu’une seule et belle idée : leur gloire. Même les saints. Quand nous monterons au paradis, nous les verrons bien rangés, à la droite de Dieu assis sur son nuage porté par les Trônes, ces roues de feu piquetées de mille yeux.
Vous n’avez pas idée du spectacle !
Dernière facétie du prince Philip
Le 29/04/2021
La cérémonie religieuse des funérailles du prince Philip Mountbatten duc d’Edimbourg, malgré son côté dépouillé et grandiose à la fois, n’a pas manqué, comme souvent les solennités les plus sérieuses, voire tragiques, d’un petit côté comique. La dernière facétie du prince, ce n’est pas la présence de sa calèche et de ses chevaux sur le parvis de la chapelle de Windsor qui est étonnante, (Caligula avait bien nommé consul son cheval Incitatus) mais la lecture par David Conner, doyen de Windsor, d’un texte biblique choisi expressément par le prince.
Il s’agit de ‟Merveilles de la nature” tiré de l’Ecclésiastique (et non pas de l’Ecclésiaste comme l’a dit imprudemment Gilles Bouleau, aussitôt corrigé par le curé de service). En voici un extrait :
« Par son ordre il [Le Très Haut] fait tomber la neige, il lance les éclairs selon ses décrets.
C’est ainsi que s’ouvre ses réserves et que s’envolent les nuages comme des oiseaux.
Sa puissance épaissit les nuages qui se pulvérisent en grêlons
À sa vue les montagnes sont ébranlées, à la voix de son tonnerre la terre entre en travail.
À sa volonté souffle le vent du sud, comme l’ouragan du nord et les cyclones.
Comme des oiseaux qui se posent il fait descendre la neige, elle s’abat comme des sauterelles.
L’œil s’émerveille devant l’éclat de sa blancheur et l’esprit s’étonne de la voir tomber.
Il déverse encore sur la terre, comme du sel, le givre que le gel transforme en pointe d’épines.
Le vent froid du nord souffle, la glace se forme sur l’eau ; elle se pose sur toute eau dormante, la revêt comme une cuirasse.
Il dévore les montagnes et brûle le désert, il consume la verdure comme un feu.
Le nuage est un prompt remède, la rosée, après la canicule rend la vie.
…. »
Le texte, qui date de 190 avant J. C. décrit une météo poétique qui attribue au Très Haut, des phénomènes qui devaient stupéfier les Hébreux comme le gel ou la neige. Philip, féru d’écologie princière, se moque une dernière fois des gogos écolos et s’en remet à Dieu pour sauver la planète. Je peux me tromper, mais il me semble que le texte avait du mal à franchir la glotte du très pieux et flegmatique doyen Conner.
D’ailleurs Dieu fait ce qu’il peut pour sauver la grosse boule bleue. Il nous envoie sans qu’on l’en ait prié, une pandémie qui devrait éliminer le trop plein de population qui met la planète en danger.
Le 14/04/2021
Pendant de nombreuses années le mot race avait disparu des discours. Interdit. Le voilà qui revient, masqué en racialisme, indigénisme, relativisme, pensée postcoloniale, suprématisme, intersectionnalité, etc. et autres néologismes à forts relents polémiques. Mais qu’est-ce que la race ? Peut-être faut-il se demander d’abord ce qu’est l’Homme ?
On le trouve dans l’encyclopédie des animaux entre homard et huître. L’Homme est un mammifère de l’ordre des primates, famille des hominidés, genre homo, espèce (unique) sapiens. Sa particularité essentielle est le langage doublement articulé (en mots signifiants et en sons).
On définit plus difficilement la race : groupement naturel d’individus présentant un ensemble de caractères physiques, physiologiques, pathologiques, voire psychologiques communs, transmis selon les lois de l’hérédité. La notion de race est essentiellement biologique et ne peut s’appliquer qu’aux seuls caractères transmis génétiquement. Les différences raciales sont d’ordre quantitatif et non qualitatif. Tous les gènes humains sont représentés dans toutes les races. Par exemple, la couleur de la peau est régie par une douzaine de gènes que tout le monde possède, seul leur arrangement diffère. Ceci a pu faire dire que les races n’existent pas. Il s’agit pourtant d’une évidence, à moins d’en changer la définition, les races existent bel et bien.
L’Homme est un animal social. Il se regroupe de différentes manières :
En États, formations politiques soumises à des lois et à un gouvernement unique.
En nations, groupement d’hommes vivant dans un même territoire et ayant en commun des intérêts, une histoire, une religion, une langue.
En peuples, ensembles des individus groupés sous une même autorité religieuse ou autre.
En populations, concept démographique constituant un groupement particulier d’individus appartenant à une même catégorie sociale. Ou en classe sociale, représentant un grand groupe, pris dans une dimension sociale de fait, et non de droit.
Enfin en ethnies, groupements fondés sur la communauté de caractères culturels et linguistiques.
On voit bien qu’on ne peut pas remplacer race par ethnie ni par aucun des groupes cités. Les conflits entre eux, vont de la guerre mondiale au crêpage de chignon sur le pondalez (pardon, le palier), en passant par la révolution.
On peut définir le racisme, comme l’idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les races ou l’hostilité systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes. Il relève de la haine de l’autre, profondément enfouie dans les ténèbres de notre cerveau reptilien, là où l’intelligence ne pénètre pas (voir le billet ‟La haine” sur le même blog). L’arme favorite des racistes est le lynchage.
La lutte contre le racisme ne relève pas seulement de l’éducation car l’enseignement, en dépit de tout, est obligatoirement orienté par la culture locale, l’histoire, l’actualité… L’universalisme tant décrié aujourd’hui, n’est qu’une utopie, tout comme l’égalité (race, sexe, âge…) dans notre République. L’égalité devant la loi est déjà si difficile à obtenir. Il reste à chacun de faire preuve d’intelligence, de bienveillance et de courage. Une utopie de plus !
Bakounine a écrit (1869) : « C'est l'horreur, également instinctive pour tout ce qui est étranger, instinctive et par conséquent tout à fait bestiale, oui réellement bestiale, car cette horreur est d'autant plus énergique et plus invincible que celui qui l'éprouve a moins pensé et compris, est moins homme. »
Les femmes de la Commune de Paris
Le 23/03/2021
On a beaucoup parlé du rôle des femmes dans l’histoire de la Commune de Paris en 1871. Cent cinquante ans après, dans un féminisme flamboyant, que peut-on en dire ? Les femmes n’ont joué aucun rôle politique officiel dans la Commune. Elles n’étaient ni électrices ni éligibles (la Commune prévoyait de leur donner le droit de vote). Cependant elles étaient très actives dans les clubs, l’éducation des filles, les mouvements ouvriers et particulièrement à l’Association Internationale des Travailleurs (AIT). Et quand il a fallu se battre.
La plus célèbre est Louise Michel. Elle a combattu dans les rangs de la garde nationale au 61e bataillon. L’indomptable institutrice a été de tous les combats jusqu’à la fin, sur les barricades. Alors qu’elle était prisonnière aux Chantiers à Versailles, un officier la reconnait :
– C’est vous qui êtes venue au campement de Versailles, pour faire la propagande de la Commune avant l’attaque de Paris.
– Oui c’est moi, vous pouvez le raconter.
– Est-ce que vous nous prenez pour des mouchards ?
– Vous êtes bien des assassins !
La réplique était cruelle mais vraie pour la plupart des militaires. À son procès elle répond au président : Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance… J’ai fini ! Si vous n’êtes pas des lâches tuez-moi.
La Brestoise Nathalie Le Mel, moins guerrière mais tout aussi pugnace, organisait pendant le siège de Paris et la Commune, des distributions de nourriture, un véritable tour de force de dévouement et d’intelligence. Elle avait obtenu l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes dans sa profession, en animant la grève des relieurs. Pendant la semaine sanglante elle était au milieu des communards pour donner des soins aux blessés. Désespérée par l’horreur finale, elle tente de se suicider en respirant la fumée d’un poêle à charbon.
Place blanche la barricade était tenue par des femmes. Il y avait là sous le drapeau rouge, Élisabeth Dmitrief, Nathalie Le Mel, Malvina Poulain, Blanche Lefebvre, Excoflon… André Léo était à celle des Batignolles. Cette femme qui s’était dotée d’un pseudonyme masculin, écrivaine et journaliste, était une des premières militantes féministes de France. Exilée en Suisse, elle continuera son action et plaidera pour la Commune.
On ne saura jamais la vérité sur les pétroleuses, ces femmes qu’on a accusées de mettre le feu à Paris. Il est connu que des femmes avait été chargées de recenser les provisions de pétrole avant la dernière semaine de la Commune et, probablement, de les stocker aux endroits stratégiques. Pendant les combats, le ministère des finances prend feu sous les obus des Versaillais mais les incendies du palais des Tuileries, de l’hôtel de ville et de nombreux édifices prestigieux ont été déclenchés par les fédérés.
Pour empêcher les Versaillais de contourner les barricades en passant par les immeubles ou de les mitrailler par les fenêtres, les fédérés incendiaient les maisons les unes après les autres en reculant. Des femmes ont aussi participé aux destructions. Louise Michel criait de mettre le feu en évacuant sa barricade. Ça ne fait pas d’elles les pétroleuses de la propagande versaillaise.
La barricade de la place Saint-Sulpice n’était pas assez haute, les fédérés tombaient les uns après les autres sous le feu des Versaillais. Madame Richou, sortant de chez elle, voulu les aider. Une boutique d’objets de piété était restée ouverte. Pour remplacer les pavés qui manquaient, elle fit porter à la barricade des statues de saints. Arrêtée, quand on lui demanda si c’est elle qui avait fait mettre les statues sur la barricade, elle répondit : « Mais certainement, les statues étaient de pierre et ceux qui mouraient étaient de chair. » Elle a été condamnée à la déportation.
Certaines femmes n’étaient pas sur les barricades ou dans les ambulances à soigner les blessés. Des bourgeoises, vêtues avec élégance, rôdaient à travers le carnage, se repaissant de la vue des morts, dont elles fouillaient du bout de leur ombrelle les yeux sanglants. Quelques-unes, prises pour des pétroleuses, furent fusillées sur le tas avec les autres (d’après Louise Michel).
Le 7 août 1871 commence le procès des communards. Vingt-six conseils de guerre ! Un public huppé assiste aux séances. Les femmes ont des attitudes souvent plus fières et courageuses que les hommes. Ont-elles conscience de bâtir la légende de la Commune ? Huit femmes seront condamnées à mort, mais aucune ne sera exécutée. Vingt-neuf seront condamnées aux travaux forcés, 36 à la déportation, 83 ainsi que 6 enfants à des peines de prison. Vingt-cinq hommes seront exécutés. On ignorera toujours combien de fédérés sont morts pendant la semaine sanglante. Le conseil municipal de Paris a voté des crédits pour l’inhumation de 17 000 cadavres.
Enfin il ne faut pas minimiser la haine que suscitait la Commune de Paris dans toute la France, et pas seulement dans les milieux bourgeois.
Les 150 ans de la Commune de Paris
Le 08/03/2021
Le 18 mars 1871, la révolution qui devait conduire à la Commune de Paris débute par l’échec de l’armée à récupérer les canons de la garde nationale. Les soldats mettent la crosse en l’air. C’est Louise Michel, la passionaria de la Commune qui raconte.
Tout le monde savait que les canons, soi-disant dérobés à l’Etat, appartenaient à la garde nationale et que les rendre eût été aider à une restauration. M. Thiers était pris à son propre piège, les mensonges étaient trop évidents, les menaces trop claires. La provocation directe fut donc tentée ; mais le coup de main essayé place des Vosges avait donné l’éveil.
L’invasion des faubourgs par l’armée fut faite dans la nuit du 17 au 18 mars ; mais malgré quelques coups de fusil des gendarmes et des gardes de Paris, ils fraternisèrent avec la garde nationale. Sur la butte, était un poste du 61e, veillant au n° 6 de la rue des Rosiers, [actuelle rue du chevalier de la Barre] j’y étais allée de la part de Dardelle pour une communication et j’étais restée [… Un coup de feu retentit], le factionnaire Turpin tombe atteint d’une balle. Le poste est surpris sans que le coup de canon à blanc qui devait être tiré en cas d’attaque ait donné l’éveil, mais on sentait bien que la journée ne finissait pas là.
La cantinière et moi nous avions pansé Turpin en déchirant notre linge sur nous, alors arrive Clemenceau qui ne sachant pas le blessé déjà pansé demande du linge. Sur ma parole et sur la sienne de revenir, je descends la butte, ma carabine sous mon manteau, en criant : Trahison ! Une colonne se formait, tout le comité de vigilance était là : Ferré, le vieux Moreau, Avronsart, Lemoussu, Burlot, Scheiner, Bourdeille. Montmartre s’éveillait, le rappel battait, je revenais en effet, mais avec les autres à l’assaut des buttes.
Dans l’aube qui se levait, on entendait le tocsin ; nous montions au pas de charge, sachant qu’au sommet il y avait une armée rangée en bataille. Nous pensions mourir pour la liberté. On était comme soulevés de terre. Nous morts, Paris se fût levé. Les foules à certaines heures sont l’avant-garde de l’océan humain. La butte était enveloppée d’une lumière blanche, une aube splendide de délivrance. Tout à coup je vis ma mère près de moi et je sentis une épouvantable angoisse ; inquiète, elle était venue, toutes les femmes étaient là montées en même temps que nous, je ne sais comment.
Ce n’était pas la mort qui nous attendait sur les buttes où déjà pourtant l’armée attelait les canons, pour les joindre à ceux des Batignolles enlevés pendant la nuit, mais la surprise d’une victoire populaire. Entre nous et l’armée, les femmes se jettent sur les canons, les mitrailleuses ; les soldats restent immobiles. Tandis que le général Lecomte commande feu sur la foule, un sous-officier sortant des rangs se place devant sa compagnie et plus haut que Lecomte crie : Crosse en l’air ! Les soldats obéissent. C’était le sergent Verdaguerre qui fut pour ce fait surtout, fusillé par Versailles quelques mois plus tard. La Révolution était faite.
Lecomte arrêté au moment où pour la troisième fois il commandait feu, fut conduit rue des Rosiers où vint le rejoindre Clément Thomas, reconnu tandis qu’en vêtements civils il étudiait les barricades de Montmartre. Suivant les lois de la guerre ils devaient périr. Au Château-Rouge, quartier général de Montmartre, le général Lecomte signa l’évacuation des buttes. Conduits du Château-Rouge à la rue des Rosiers, Clément Thomas et Lecomte eurent surtout pour adversaires leurs propres soldats. L’entassement silencieux des tortures que permet la discipline militaire amoncelle aussi d’implacables ressentiments. Les révolutionnaires de Montmartre eussent peut-être sauvé les généraux de la mort qu’ils méritaient si bien, malgré la condamnation déjà vieille de Clément Thomas par les échappés de juin [1848] et le capitaine garibaldien Herpin-Lacroix était en train de risquer sa vie pour les défendre, quoique la complicité de ces deux hommes se dégageât visible : les colères montent, un coup part, les fusils partent d’eux-mêmes.
Clément Thomas et Lecomte furent fusillés vers quatre heures rue des Rosiers. Clément Thomas mourut bien. Rue Houdon, un officier ayant blessé un de ses soldats qui refusait de tirer sur la foule fut lui-même visé et atteint. Les gendarmes cachés derrière les baraquements des boulevards extérieurs n’y purent tenir et [le général] Vinoy s’enfuit de la place Pigalle laissant, disait-on, son chapeau.
La victoire était complète ; elle eût été durable, si dès le lendemain, en masse, on fût parti pour Versailles où le gouvernement s’était enfui. Beaucoup d’entre nous fussent tombés sur le chemin, mais la réaction eût été étouffée dans son repaire. La légalité, le suffrage universel, tous les scrupules de ce genre qui perdent les Révolutions, entrèrent en ligne comme de coutume. Le soir du 18 mars, les officiers qui avaient été faits prisonniers avec Lecomte et Clément Thomas furent mis en liberté par Jaclard et Ferré. On ne voulait ni faiblesses ni cruautés inutiles.
Quelques jours après mourut Turpin, heureux, disait-il, d’avoir vu la Révolution ; il recommanda à Clemenceau sa femme qu’il laissait sans ressources. Une multitude houleuse accompagna Turpin au cimetière.
— A Versailles ! criait Théophile Ferré monté sur le char funèbre.
— A Versailles ! répétait la foule.
Il semblait que déjà on fût sur le chemin, l’idée ne venait pas à Montmartre qu’on pût attendre. Ce fut Versailles qui vint, les scrupules devaient aller jusqu’à l’attendre.
Le 11/02/2021
Parfois je ne sais plus que lire. J’ai pris au hasard dans la bibliothèque de mon fils, un livre de poche délabré : L’âme d’Elsa Triolet. Je l’avais sans doute déjà lu. Mais cette fois, j’y ai découvert une pensée délicate que je peux mieux comprendre aujourd’hui. Quand elle parle du bonheur, je me crois en union avec elle :
« Le bonheur a mille visages, il peut visiter les vieillards, les estropiés, les monstres, les obèses. Il faut savoir le reconnaître… D’ailleurs qu’est-ce que le bonheur ? Cherchez dans votre vie, ce ne sont jamais que de courts instants, des éclairs… Un revoir, une réussite, un mal disparu… C’est une explosion, un instantané, un plat parfois longuement cuisiné et vite mangé, jamais un long sentiment continu. Le bonheur est relatif, il est par rapport à… »
J’avais écrit ceci il y a quelques temps, dans L’ombre du désir et autres nouvelles (éditions Itinéraires) :
« Qui n’a ressenti un jour, une sensation de bonheur apparemment sans raison ? Malgré des difficultés préoccupantes, des malheurs, des peines, voilà que tout à coup je me sens heureux, pourquoi ? L’herbe sous mes pieds, l’oiseau qui s’envole à travers les branches avec un bruit d’applaudissements, une odeur de fougère soudaine et je suis transporté ailleurs, dans un monde virtuel où je suis heureux. Ça ne dure pas. Les mots, ce sont les mots qui me transportent. J’ai dit fougère, j’ai pensé à mon enfance car j’ai joué enfant dans des friches où je construisais des cabanes tressées de fougères-aigle à l’odeur puissante. J’ai entendu un pigeon s’envoler, j’ai pensé applaudissements. Je salue un public imaginaire qui m’aime et m’admire. Folie ! Et l’herbe appelle les pieds nus. Nu, ce mot si court a le bras long ! Ce bonheur que je viens de ressentir, il était en moi, latent, mais il vient des limbes de l’intelligence, où sont imprimés des odeurs, des bruits, des sensations. Toute ma vie peut-être.
…
Pourquoi pleure-t-on quand la cantatrice chante ? Nous ne comprenons pas ses mots mais l’aria nous déchire. La musique était en nous, cachée, elle s’extirpe de l’âme, en larmes délicieuses, libérées du carcan de la pensée. On est rarement aussi ému par une musique qu’on entend pour la première fois. »
Le bonheur c’est bien autre chose que le plaisir. J’en parlerai une autre fois.