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Le 18/10/2021
Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine (1814 – 1876) est un aristocrate russe né à Tver (entre Moscou et Saint-Pétersbourg). Karl Marx (1818 – 1883) naît à Trèves (en Prusse), dans une famille bourgeoise juive convertie au protestantisme. Bakounine préfère l’université à la carrière militaire à laquelle il était destiné, quant à Marx c’est un pur universitaire, il obtient son doctorat à Iéna.
Les deux géants du socialisme rivalisent de pilosité et d’ivrognerie. L’un boit l’alcool à la russe jusqu’à perdre conscience, l’autre boit comme un Allemand, chope de bière sur chope de bière, jusqu’au débordement. Ils ont en commun une santé délabrée. Marx vit dans une misère noire pendant 20 ans, dans les deux pièces d’un taudis à Londres avec sa nombreuse famille (il aura 7 enfants dont 4 mourront en bas âge). La malnutrition, le manque d’hygiène et de sommeil, le travail intellectuel forcené, entraînent des anthrax à répétition, des rages de dents… il souffre aussi d’une hépatite chronique et sur la fin, ses poumons seront atteints par un cancer. Bakounine garde de ses séjours en prison une santé chancelante. Il a perdu toutes ses dents à la suite du scorbut contracté à la forteresse de Königstein, il souffre d’une maladie de cœur et de pathologies diverses, foie, estomac… Marx n’aura passé qu’une nuit en prison (en Belgique) tandis que Bakounine, condamné trois fois à mort, sera interné de nombreuses années et déporté en Sibérie.
Bakounine est un géant de près de deux mètres, dandy négligé, il domine les assemblées par son aspect gigantesque et sa taille athlétique. Sa figure rabelaisienne de titan à la tête de lion, avec une superbe crinière, retient le regard. Mais son visage accuse la fatigue et la maladie. Et les abus. Il dédaigne l’argent, le distribue à pleine main quand il en a et emprunte sans vergogne, en oubliant de rembourser, quand il n’en a pas. Il y a dans sa nature quelque chose de franc, de simple et de convaincant qui attire. On a envie de se dévouer pour lui. Les ouvriers suisses ne l’appellent que Michel.
Marx, la peau brune, la barbe et les cheveux noirs et frisés, se compare lui-même au Maure de Venise. Habillé en bourgeois, le lorgnon en sautoir, il se tient au milieu de ceux qui l’entourent comme une cour, tel un souverain. Il est vrai qu’on ne peut oublier cette tête remarquable, aux yeux pleins d’intelligence malicieuse, dans un visage où l’expression de la bienveillance est absente. On sent qu’il pourrait mordre ses ennemis ! (C’est ce que dit de lui un anarchiste peu suspect de flagornerie).
Marx est amoureux fou de Jenny von Westphalen (il séduit aussi son père, qui permet enfin le mariage après 7 ans de fiançailles). La belle aristocrate se dévouera pour lui jusqu’à la mort, dans la maladie, les grossesses annuelles, la pire misère et la trahison. Karl fait un enfant à la jeune et jolie bonne de la famille, Hellen Demuth, dans la pure tradition bourgeoise. Il ne reconnaîtra pas l’enfant (Engel s'en chargera). Bakounine épouse à 44 ans une jeune polonaise de 17 ans, Antonia Kwiatowska, fille d’un exilé comme lui en Sibérie. Il s’évade et son épouse le rejoint à Stokholm plus d’un an après. Antonia tombe amoureuse d’un anarchiste italien, Carlo Gambuzzi avec qui elle aura trois enfants (et un quatrième après la mort de Bakounine) qu’il reconnaîtra suivant ses convictions libertaires. Il prône une liberté sexuelle totale pour les femmes et la fin de la famille juridique autoritaire.
Après avoir été amis à Paris puis à Londres (Bakounine traduit en russe le Manifeste du parti communiste de Marx et Engel), ils sont devenus les pires ennemis. Marx veut la dictature du prolétariat, le gouvernement des ouvriers, Bakounine l’anarchiste, ne veut aucun gouvernement. Ils participent tous deux à la fondation de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT ou première Internationale) mais Marx obtiendra l’éviction de Bakounine au congrès de La Haye en 1872, où les socialistes autoritaires (les communistes) ont la majorité. La première Internationale n’y survivra pas.
Marx est un homme de cabinet, il n’a jamais mis les pieds dans une usine. Travailleur acharné, brouillon, il ne sait pas terminer un ouvrage, c’est Engel qui met de l’ordre dans ses papiers (Il est le seul à pouvoir déchiffrer son écriture : il écrit avec ses griffes dit-il). Bakounine au contraire est un homme de terrain, il est de toutes les insurrections (Paris en 1848, Prague, Dresde en 1849, en Allemagne, en Pologne, à la Commune de Lyon en 1871…). Orateur de talent, il intervient dans les assemblées révolutionnaires, galvanise les hommes, monte aux barricades, intrépide, infatigable. Il en est même parfois encombrant ! Il n’en laisse pas moins une œuvre philosophique importante.
Il n’y aura pas plus de 20 personnes à l’enterrement de Marx tandis qu’une foule se presse autour du cercueil de Bakounine, la princesse Zoé Obolenskaia son égérie, a envoyé une voiture pleine de fleurs. Les anarchistes suisses, français, italiens, allemands, pleurent sincèrement leur ami Michel.

Le bobo des villes et le bobo des champs
Le 07/10/2021
Le bobo des villes a invité le bobo des champs à dîner.
Un dîner en ville élégant comme il se doit,
Avec des personnalités presque ministres
Des femmes d’esprit, des jolies journalistes.
La chère sera saine, goûteuse et rare. De grand choix.
Le bobo des champs est parti au point du jour
Dans sa voiture de collection à pétrole,
Mais son véhicule est interdit de séjour
Dans ce quartier huppé de la métropole,
Où dorment les SUV propres, rechargeables et lourds.
Le bobo des champs arrive enfin en taxi.
Son épouse, à la maîtresse de maison ravie,
Offre un panier de légumes de leur jardin,
Bios évidemment, issus de tous leurs soins.
On s’extasie à la ronde sur leur aspect moche.
Certains demandent ce que c’est, fruit ou légume ?
Et chacun feint de s’intéresser, tâte et hume.
Le dîner est chic, le vin bio coule à flot.
Car ça ne peut pas faire de mal la bamboche,
Non plus le quinoa andin des hauts plateaux,
Ou le cher tabac récréatif marocain.
On parle arbres, qualité de l’air, jus d’agrumes,
Lisier, labourage, pesticides enfin.
Le bobo des villes approuve sans écouter.
La ville est trop sale, bruyante et polluée.
Il pense bien à s’installer à la campagne.
Rendez-vous est pris pour un week-end prolongé
En région Bretagne, chez le bobo des champs.
« J’ai galéré pour trouver la propriété
Le GPS vous mettait en Afghanistan ! »
Dit le bobo des villes depuis son auto
4x4 hybride de 300 chevaux,
Avec une boîte automatique à crabots.
« Nous avons pris des bottes – Vous avez raison,
Il a un peu plu, mais ce n’est pas la saison. »
Après la visite du jardin potager,
De la chèvre, de la brebis, du poulailler,
Des fleurs, et des paillages en ardoise d’Anger,
Au fond du jardin, le bobo des champs s’excuse :
« J’en pouvais plus de débroussailler le talus
C’est plus propre, J’ai mis du plastique dessus.»
Au composteur, le bobo des villes accuse :
« C’est étrange, il ne sent rien ton fumier !
– Il ne fonctionne pas, je ne sais pas pourquoi.
– C’est le bio, c’est trop sain, ça ne pourrit pas ! »
Affirme le bobo des villes en riant.
Tous à table ! Le maire écolo est venu
Avec sa femme, ancienne hippie toute fripée,
Habillée en coton bio équitable
Des chaussettes au turban, sandales confortables
Fabriquées en Inde dans de vieux pneus.
La conversation est confuse, au mieux,
Mais inclusive, c’est fini le new-âge
Et les chakras, on peut évoquer les varices.
Le maire défend la cause du coq Maurice,
Qui sonne le réveil à quatre heures du matin.
Le bobo des champs aime bien le coq au vin.
Les cloches du curé sont aussi un problème
Mais à ce niveau on est plutôt sur le thème
Du père Dupanloup, que bientôt on chante,
(On a fait des études, ce n’est pas pour rien)
Et que la campagne est belle, ravissante,
Sa poésie est presque d’un ordre divin,
On évoque Watteau et ses fêtes galantes.
La nuit a été belle, personne n’a vomi.
« Il vaut mieux pas être malade, a dit le maire,
Et ne cherchez pas, le plus proche médecin
N’exerce pas sur le même méridien.
Heureusement qu’on peut voir un vétérinaire
Qui est expert en maladies du coin. »
À quatre heures du matin Maurice réveille
Ceux qui ont pu dormir, sur l’une ou l’autre oreille.
Des fragrances odieuses se répandent,
C’est dimanche, jour d’épandage du lisier.
Les moustiques repus vont se reproduire
Et les mouches se mettent intensément à bruire.
L’hôtesse s’excuse, pour les croissants surgelés,
L’excellent boulanger du village est parti.
Il a fait fortune comme plombier à Paris.
Le bobo des villes remercie le bobo
Des champs, pour son accueil, son fromage, ses légumes
Son eau de vie artisanale et son champagne.
Il est résolu à habiter la campagne
Là où il n’y a pas d’agriculteur, de coq et de curé.
Avec le prix de son six pièces, une fortune,
Il se paiera 120 hectares de forêt
Murée, autour d’un château de prince charmant.
Et chaque matin dès l’aube, il se fera livrer,
Les croissants tout chauds, par un esclave à vélo.
*

Le 24/09/2021
En physique, une notion m’a toujours paru mystérieuse, même si on peut la traduire par des expressions mathématiques : l’entropie. Cette valeur qui ne peut que croître me semble d’ordre divin ou plutôt diabolique. Est-elle universelle ?
Qu’est-ce que l’entropie ? C’est une grandeur qui permet d’évaluer la dégradation de l’énergie d’un système, l’entropie caractérise son degré de désordre. Elle peut s’exprimer par le rapport entre la quantité de chaleur et la température d’un système isolé : Q/T. L’entropie est intimement liée à la flèche du temps. Il est impossible de revenir à l’instant d’avant. Un sucre dissout dans le café ne redeviendra jamais un sucre. Et les particules de sucre bien ordonnées et figées dans des cristaux sont maintenant associées aux molécules d’eau en désordre et en mouvement. L’entropie du petit noir, et du sucre sur la soucoupe, a augmenté.
Peut-on parler d’entropie humaine ? L’humanité peut-elle être considérée comme un système isolé ? Il serait simple de dire qu’un ensemble vivant ne subit pas les lois de la thermodynamique et n’en parlons plus. Je n’en crois rien. La flèche du temps agit cruellement sur nous. On n’a jamais vu un mort revenir à la vie (à de rares exceptions près). L’entropie du genre humain ne pourrait-elle que croître, comme celle de toutes choses dans l’univers ?
Le vivant a une relation particulière à l’énergie. Contrairement aux systèmes naturels inanimés qui dispersent l’énergie dans l’environnement, le vivant consomme de l’énergie, il pompe dans son milieu pour vivre. La vache mange de l’herbe et restitue des gaz nauséabonds. On sait ce que commet l’homme. Dans un système en équilibre avec assez de pluie et pas trop de vaches, l’entropie globale ne croît pas trop vite (il y a quand même transformation de carbone organique en gaz dans l’atmosphère). Mais sur terre nous sommes très loin de l’équilibre.
L’énergie de l’univers se dégrade, le désordre augmente mais la richesse aussi. À partir de l’hydrogène et de l’hélium les étoiles en mourant fabriquent de l’or. Sur terre peut-on dire que la vie est une richesse ? Si on considère que la vie n’a pour but que sa pérennité (je ne vois pas quel autre but elle pourrait avoir) elle débouche obligatoirement sur le progrès des espèces par la sélection naturelle. La vie s’enrichit d’elle-même. La complexité gagne, donc le désordre, forme de l’entropie de la vie.
Mais l’homme ? On pourrait se contenter de ce qui vient d’être dit. L’homme est le fruit de l’évolution (on sait aujourd’hui que de nombreuses espèces d’êtres humains ont précédé l’homo sapiens) et son entropie marquerait le sommet (provisoire) de la vie. Ce serait sans compter les civilisations qui se sont succédées et se sont effondrées l’une après l’autre. Y a-t-il un rapport entre l’hégémonie exercée par un groupe humain et l’entropie générale ?
De toute évidence oui ! Les lois, les mœurs, les contraintes imposées par le groupe dominant, viennent se superposer aux règles des dominés. Les minorités s’opposent au pouvoir. Le désordre s’accroit avec les conflits. Quel bond formidable de l’entropie humaine qu’une guerre. L’énergie (au sens large) dégradée est perdue à jamais. Sur les ruines, une nouvelle civilisation s’installe, toujours plus avide, et l’entropie continue de croître sans possibilité de retour en arrière.
L’entropie humaine se nourrit des ressources disponibles sur terre, fournies en grande partie par le soleil (les énergies fossiles seront un jour épuisées mais l’énergie colossale fournie par le soleil devrait toujours suffire à satisfaire nos besoins les plus délirants). L’homme finira-t-il dans un désordre gigantesque, une espèce de mouvement brownien de ses mille milliards d’habitants ? Puis le soleil s’éteindra après un gigantesque feu d’artifice, la terre se débarrassera de son atmosphère et de ses habitants, réduits en poussière, vide d’énergie. L’entropie, cette valeur mystérieuse, grandira encore jusqu’à la dispersion totale de la planète dans le vide intersidéral.

Le 01/09/2021
J’ai relu Le choc du futur d’Alvin Toffler, paru en 1970. Ce livre oublié aujourd’hui, avait eu un succès considérable à l’époque. Cinquante ans après sa parution, il m’a semblé intéressant de comparer sa vision du futur à la réalité advenue. Et les solutions qu’il préconise à celles que nous avons trouvées pour supporter le choc, si tant est qu’il y ait eu un choc.
Bien vu d’abord, ce qu’il appelle le super-industrialisme et que nous nommons aujourd’hui la civilisation post-industrielle. Les pays à haut développement technologique s’engagent dans le secteur tertiaire et rejettent le travail manuel. C’est le triomphe des cols blancs. Mais Toffler n’évalue pas le coût énorme de ce triomphe en termes humains, la paupérisation de régions entières et le report de la pollution, de la déforestation, de la réduction de la biodiversité, etc., dans les pays en voie de développement. Il ignore en 1970, le réchauffement climatique, qui est maintenant une préoccupation majeure. Et pourrait provoquer un véritable choc de civilisation en retour.
Toujours sur le plan économique, il cite le Secrétaire général des Nations unies U Thant : « Aujourd’hui […] les ressources ne sont plus une limite aux décisions, ce sont les décisions qui font naître les ressources. Tel est le changement fondamental et révolutionnaire – le plus révolutionnaire peut-être de mémoire d’homme. » On peut dire cinquante ans après que le phénomène s’est inversé. À force de puiser sans mesure dans les ressources nous en sommes à redouter leur épuisement. C’est la disponibilité des ressources qui impose les décisions (le choix des matières premières et des produits semi-finis), elle impacte les politiques nationales, entraîne des guerres, alimente le terrorisme et suscite des alliances parfois contre nature. Et le transport massif pose de plus en plus de problèmes. Plus grave encore, les êtres humains sont aussi considérés comme des ressources (voir mon billet « Du personnel aux ressources humaines » du 20 août 2018).
En 1970 Toffler peut déjà dire que les frontières ont éclaté, que le réseau des liens sociaux est si serré que les conséquences d’un évènement se répandent instantanément dans le monde entier. Il n’emploie pas le terme de mondialisation mais il en a l’intuition. Un évènement qui ne concerne qu’une poignée de gens au moment où il s’est produit, peut avoir des conséquences mondiales (Black Lives Matter, Me too…). Et les évènements du passé refluent sur nous (esclavage, colonisation, Shoah…).
Le choc du futur pour Toffler, se trouve principalement dans l’accélération générale que subissent les habitants du monde. Tout va plus vite, c’est le règne de l’éphémère. On jette, on divorce, on change de métier, de résidence… on vit à cent à l’heure et l’on communique plus vite encore. Toffler se demande si l’homme réussira à s’adapter, si de nouvelles pathologies ne vont pas apparaître, dues aux changements rapides, brutaux et continuels de nos conditions de vie. Il ne semble pas pourtant, que 50 ans de changements radicaux (stress, pollution, réduction du sommeil, nourritures industrielles, usage des écrans, etc.) aient engendré de nouvelles maladies. Bien que l’espérance de vie (hors Covid) soit en recul dans certains pays, aux USA particulièrement, mais les causes en sont complexes. En revanche, la mondialisation nous met à la merci d’une pandémie qui s’étend à toute vitesse et le changement climatique semble impacter de plus en plus notre vie quotidienne : catastrophes météorologiques, plantes et insectes invasifs, mauvaises récoltes… Toffler se trompe sur les causes mais le résultat pourrait être le même.
Il n’a pas idée du saut quantitatif énorme des échanges au niveau de la planète en 50 ans. Échanges, dont les conséquences nous échappent totalement, qui vont du virus mortel, aux mœurs américanisées (les Lumières sont ringardisée), en passant par les réseaux sociaux. Échange aussi de biens de toute nature : roses d’Ethiopie, haricots verts du Kenya, voitures coréennes, téléphones chinois… Toffler cite en exemple, l’introduction des postes à transistors qui ne serait pas étrangère à la recrudescence des nationalismes arabes ! Le transistor est un pétard à mèche, comparé à la bombe H d’Internet. Cependant il prévoit l’invention d’un assistant personnel virtuel (et intelligent), qui n’apparaîtra que vers 2010 (OK Google !). Ce n’est pas si mal, alors qu’IBM en est encore aux cartes perforées.
Toffler attaque rudement la technocratie verticale de nos dirigeants. Il prédit une instabilité sociale de plus en plus grande et une perte de contrôle sur les forces qui génèrent l’évolution de la société (on pense aux Gilets jaunes). Ce n’est pas aux politiciens, aux scientifiques et encore moins aux technocrates, qu’il faut demander dans quel monde nous voulons vivre dans dix, vingt ou trente ans, il faut aller au peuple. Belle utopie que le référendum permanent qu’il suggère !
Il raisonne en démocrate américain et pense comme Francis Fukuyama, que la démocratie libérale sera la forme finale des gouvernements de tous les pays et conduira à La fin de l’histoire. Mais tout le monde n’est pas américain et la démocratie perd du terrain partout, y compris en Europe. Et ce n’est pas de la seule faute des technocrates.
Finalement, la prospective de Toffler est assez juste. Il voit bien que, à mesure que l’interdépendance mondiale des groupes sociaux se fait plus étroite, le plus petit d’entre eux acquiert un pouvoir explosif terrifiant. La démocratie n’a pas de réponse à ce problème. Nous sommes lancés à toute vitesse vers l’inconnu, dans le noir, en espérant ne pas percuter un mur. Mais Toffler passe complètement à côté de ce qui est vraiment le choc du futur, l’explosion démographique et son corollaire, la préservation de la planète pour la survie du genre humain.

Le 05/08/2021
Inclusif, le mot à la mode. Il en est qui tout-à-coup deviennent viraux (viral est lui-même un mot viral) dans la presse, sur Internet et dans le langage des politiques. Comme pour les épidémies, on ne sait jamais trop d’où c’est parti. Tout ce que l’on sait, c’est que le virus se propage à grande vitesse et qu’il fait des ravages.
Une des premières apparitions de l’adjectif inclusif, qui a contaminé les médias, puis les hommes et les femmes politiques qui écrivent, s’est trouvée dans l’écriture inclusive. Selon la professeure Ayada, elle n’y voit nulle inclusion et seulement une tentative de destruction de la langue française. Je trouve que c’est faire beaucoup d’honneur aux activistes qui l’on inventée ou la pratiquent. Cette écriture qui ne peut se lire à haute voix, est seulement une sottise de plus, que s’attache à pratiquer les féministes intégristes et les politiques démagogues, qui craignent de perdre la voix des femmes aux prochaines élections. Quant à moi, je suis favorable à utilisation du féminin à la place du neutre masculin. Ne dit-on pas, les femmes et les enfants d’abord en cas de naufrage ? Celui de la langue française en l’occurrence.
Le terme inclusif qui signifie simplement « qui contient en soi quelque chose d’autre » devient générique. Par exemple, l’éducation inclusive qui « vise le plein développement de l’autonomie et de l’autodétermination des enfants et principalement de ceux ayant des besoins particuliers. Elle encourage l’ensemble de la communauté (ce terme n’est pas du tout inclusif puisqu’il exclut ceux qui n’en font pas partie) à privilégier l’intégration de tous les enfants dans les différentes sphères d’activités. » Belle utopie généreuse, que n’adopteront certainement pas les parents de petits génies (et ils sont nombreux), même s’ils sont wokes (conscients des injustices et du système d’oppression qui pèsent sur les minorités).
J’oserais la comparaison entre intégration et inclusion. On dit intégrer l’X, Sciences-po., Normale sup. ou parfois aussi un C.P. Montessori. Intégrer c’est atteindre un niveau supérieur. Les journées d’intégration par exemple, permettent à ceux qui n’ont jamais bu une bière de passer directement à la tequila. L’inclusion au contraire met tout le monde au même niveau et comme on ne peut pas transformer un âne en cheval de course, on fait courir les ânes.
Au top niveau de l’inclusion on peut mettre Nayib Bukele le président du Salvador. Il a décidé l’inclusion financière des plus pauvres, en légalisant le cours du bitcoin dans son pays. Voilà une nation qui va confier sa monnaie à un algorithme, pour éviter les commissions versées aux banques sur les transferts de fonds des expatriés (qui représentent tout de même 21 % de son PIB). Le blanchiment de l’argent sale et la corruption, plaies du Salvador, vont certainement bien profiter de la situation. Le petit paysan, qui n’a même pas de compte en banque, va se trouver en position extrêmement périlleuse. Son maigre lopin de terre, risque de se retrouver rapidement aux mains d’un narcotrafiquant.
L’inclusion mise à toutes les sauces, risque d’être un plat difficile à digérer. Il est peu probable qu’elle mette fin aux injustices, discriminations, racisme et haines recuites qui minent la société. Elle peut même en rajouter. Dans l'horreur : Le porte-parole des Talibans, nouveaux maîtres de Kaboul, Suhail Shaheen a déclaré: "Nous voulons un gouvernement islamique inclusif." Après ça, comment utiliser ce mot sans trembler ?

Le 19/07/2021
Nos cimetières semblent abandonnés. Les mauvaises herbes poussent entre les tombes (pardon, je ne voudrais pas stigmatiser les herbes qu’on dit mauvaises, nous devons respecter la nature). Au cimetière de Lambé (Lambézellec à Brest), la porte ouest n’a pas été nettoyée depuis des années, l’eau du robinet tout proche, coule dans le passage et l’herbe pousse sous la grille. À la tristesse des lieux s’ajoute un sentiment de délaissement.
Le refus des pesticides, louable en soi, a conduit à enherber certains cimetières. Comme la disposition des tombes ne s’y prête guère, la tonte de l’herbe et la coupe des bordures sont laborieuses. À chaque entretien, les monuments et les fleurs sont couverts de terre et de débris végétaux très difficile à éliminer. Bref, tout est sale.
Certaines mairies demandent aux citoyens de nettoyer les cimetières ou au moins leur propre concession. Si c’est impossible pour les tombes abandonnées ou rarement visitées car trop anciennes, le recueillement qui s’impose à la mémoire des défunts ne s’oppose évidemment pas à une petite séance de jardinage. Mais demander aux citoyens de se constituer en commando pour nettoyer leur cimetière, s’apparente aux corvées moyenâgeuses (sauf qu’elles ne sont plus obligatoires). Il serait plus judicieux d’y coller les condamnés à des travaux d’intérêt général ou des prisonniers qui seraient ravis de prendre l’air et de se sentir un peu utiles (pour les volontaires évidemment, nous ne sommes plus au temps des travaux forcés).
L’entretien des cimetières est un service public et comme tout service public, il n’a pas vocation à être rentable (il semble que ce principe, pourtant fondamental, est remis en cause à tous les niveaux de gouvernance, depuis l’Europe jusqu’aux mairies). Le respect dû à nos morts n’a pas de prix, il s’apparente à la morale, aux sentiments, à la cohésion sociale aussi.
On ne peut pas parler de culte des morts en Bretagne. Nos ancêtres n’étaient pas meilleurs que nous, il n’y donc pas de raison de leur élever des autels, mais nos cimetières étaient généralement bien tenus. Cependant, pour les défunts qu’on a connus, il nous reste des souvenirs et c’est aussi à nous-même que nous pensons, en nous recueillant sur leur tombe (qui sera peut-être un jour la nôtre). Les oublier, c’est oublier une partie de notre vie, bonne ou mauvaise, qui nous a fait ce que nous sommes. Respecter nos morts c’est se respecter soi-même. Ce n’est pas toujours aussi facile que d’arracher quelques mauvaises herbes.
Nos ronds-points richement plantés et décorés par les jardiniers municipaux, sont bien mieux lotis que nos cimetières. Auraient-ils peur des fantômes qu’ils n’y mettent pas les pieds ? Je suggère finalement que nous enterrions nos morts sur les ronds-points. Ainsi fleuris, nos défunts seraient enfin justement honorés. Et bientôt, grâce aux voitures électriques, ils n’auraient même pas à souffrir des gaz d’échappement.

Le 20/06/2021
Encore un verbe d’usage courant, non pas dévié de son sens premier, mais utilisé abusivement. « Voilà les vacances, je vais bien profiter de mes petits-enfants.»
Profiter : tirer un avantage matériel ou moral de… (Larousse 2011) Ou encore : tirer un gain ou de l’avantage de quelque chose // rapporter du profit // servir, être utile //faire des progrès // se dit de la nourriture dont le corps tire avantage… (Littré)
Profiteur, euse : personne qui cherche à tirer un profit ou un avantage abusif de toute chose, notamment du travail d’autrui (Larousse 2011). Ou celui ou celle qui tire profit de la peine ou du travail des autres, péjoratif (Littré).
De ces deux définitions, il s’en suit que n’est pas obligatoirement un profiteur, celui qui profite de quelque chose. Sauf si ce profit est abusif. Il ne serait donc pas immoral de profiter de ses petits-enfants. Cependant la formule est douteuse.
« Je vais en vacances à Cherbourg, pour bien profiter du soleil ! » Même si c’est difficile à Cherbourg, profiter du soleil n’est pas abusif. Le verbe profiter est donc idoine dans ce cas. Quand on dit : « Je vais profiter de ma belle-mère cet été » on ne pense pas au plaisir qu’on va tirer de son physique avantageux, de sa présence envahissante et de sa conversation acide, mais bien à lui soutirer des avantages ou de l’argent, en authentique profiteur.
Mais profiter des enfants, des amis, des circonstances, induit un biais. Qui profite ? Je profite, car l’amour, l’admiration, les attentions, les cadeaux, etc. sont pour moi. Est-il question que j’apporte quelque chose ? Non, tout est pour moi. Je peux donner en retour l’équivalent de ce que je reçois, mais ce n’est pas dit dans la formule : je profite.
Ne soyons pas pessimiste, nous ne sommes pas profiteurs pour autant. Dans le cours de l’histoire, les exemples d’altruisme sont constants et l’époque actuelle ne semble pas plus égoïste qu’une autre. Cependant notre niveau de richesse est inégalé, du moins si on considère les biens matériels et les moyens de jouissance dont nous disposons. Et plus de richesses pour les uns, c’est plus de misères pour les autres (par comparaison, il ne me suffit pas d’être heureux, encore faut-il que les autres ne le soient pas plus que nous). On ne désire que ce qu’on n’a pas.
Vous n’avez rien vous marchez, vous disposez d’une bicyclette vous pédalez, d’une voiture vous voyagez, d’un avion vous polluez… Plus on en a, plus on en veut. Ça ne fait de torts à personne (sauf à la planète comme disent les jeunes). Mais ce n’est peut-être pas le but de la vie, de jouir de tout ce que la civilisation nous offre, presque sans mesure (quand nous serons débarrassés du méchant virus).
Profitons moins, vivons la vraie vie. Pas celle de l’amour virtuel, des paroles vides ou des vidéos rigolotes sur les réseaux sociaux. Ni celle d’une piscine à Bali. Est-ce possible ? Non, je ne crois pas. Le progrès moral n’existe que dans les rêves des philosophes ou les mensonges des politiques. L’homme demeurera toujours un loup pour l’homme. J’en suis un moi-même… Hou ! Hou ! Hou !

Le 19/05/2021
Qu’est-ce qu’une idée à laquelle on ne pense pas ? (Alain) Comment un de nos plus grands philosophe contemporain peut-il proférer une telle sottise ? Je plains sincèrement les élèves de terminale qui seront jugés pour une large part sur leurs prestations philosophiques. À l’oral qui plus est. Mort aux timides et bafouilleurs !
Mais qu’est-ce qu’une idée à laquelle on pense ? Alain ne répond pas. Une idée c’est une petite lumière qui s’allume dans notre cerveau (on la figure par une lampe électrique dans les dessins de presse). Tout s’éclaire et soudain, nous savons ce que nous avons à faire. Eureka ! s’écrie Archimède dans son bain, quand il voit son sexe se dresser mollement comme une algue dans la mer. Il en déduit que : « Tout corps plongé dans un liquide reçoit de la part de ce liquide, une poussée verticale de bas en haut égale au poids du liquide déplacé. »
Tout le monde n’a pas de baignoire, on peut simplement avoir l’idée d’acheter une pizza pour éviter d’avoir à faire à manger. L’idée est l’amorce d’une réalisation, si elle se concrétise. Curieusement mises au pluriel, les idées, n’ont plus la même signification. On se fait des idées, c’est-à-dire qu’on imagine des choses qui ne sont pas. L’inverse en fait, d’une bonne idée.
Mais il y a d’autres idées qui n’en sont pas, comme par exemple les idées des hommes politiques, ce qu’ils nomment des convictions. Mot honnête pour dire des croyances, qu’ils n’ont aucun moyen de prouver avant de se trouver au pouvoir, en situation alors de ne pas pouvoir (ou de ne plus vouloir) les appliquer. Mais n’accablons pas les politiques, nous avons ceux qui nous ressemblent, ou du moins, nous représentent.
Mis à part les idées géniales qui conduisent à des inventions, que reste-t-il de nos idées ? Je ne parle pas du fonctionnement normal du cerveau qui nous fait bouger bras et jambes en fonction d’un but plus ou moins bien explicité, mais des idées qui germent en permanence dans nos têtes. On pourrait comparer cette agitation, au bouillonnement du vide mis en évidence par la mécanique quantique. Une énergie énorme qui au total, ne produit rien. Sauf le néant, s’il existe. Néant qu’on pourrait traduire aussi par idées noires. Noir, symbole de la mort.
Seul le poète qui laisse à sa plume la bride sur le cou (Mme de Sévigné) ou pratique l’écriture automatique (André Breton), met sur le papier les idées confuses, bizarres, interdites parfois par la raison, qui s’entrechoquent dans son cerveau en produisant des feux d’artifices, explosions de beauté artificielle sans signification propre. Le vrai poète (pourquoi dit-on vrai, y en aurait-il des faux ?) fait appel à l’envers du décor. Il voit le derrière des acteurs et la face des spectateurs. Peu importe la pièce, tout le monde la connaît, seule l’émotion compte. De là nait la surprise, l’originalité. L’humanité.
Le philosophe est tout le contraire du poète. Il est dans la salle et observe la pièce. Il critique, ne rit pas. Il plaque ses idées, son opinion, sur ce qu’il croit voir. Il s’imagine plus intelligent que l’auteur. Et si la pièce est le théâtre du monde, le philosophe n’en voit qu’un coin minuscule du haut de ses prétentions, de ses préjugés (il est au balcon derrière une colonne). Lui pense, les autres agissent. Mal évidemment. Il n’a pour lui que ses idées, autrement-dit rien, le néant. Car il se garde bien de les appliquer pour lui-même (à de rare exceptions près, qui se terminent souvent très mal)
Les grands hommes n’ont qu’une seule et belle idée : leur gloire. Même les saints. Quand nous monterons au paradis, nous les verrons bien rangés, à la droite de Dieu assis sur son nuage porté par les Trônes, ces roues de feu piquetées de mille yeux.
Vous n’avez pas idée du spectacle !